
Le premier texte est une présentation du dossier.
propriété de se perpétuer. Bien sûr, en disant cela nous perdons beaucoup d'amis.
ceux-ci s'opposent à la torture, mais aussi ils pensent que l'on peut maintenir
les rapports de propriété sans faire usage de la torture. ce n'est pas vrai.
Bertolt Brecht
travail: l'état de celuiqui souffre est tourmenté " (tiré du dictionnaire Le petit Robert)
Les textes qui suivent, s'ils constituent une dénonciation des tortures exercées légalement par les autorités judiciaires de la République fédérale d'Allemagne, se veulent surtout un témoignage sur la résistance de ceux qui sont victimes de ces pratiques: les prisonniers politiques. C'est pourquoi le document politique essentiel de ce dossier est constitué par la "déclaration faite à l'occasion de la grève de la faim" en mi 1973, par plus de 80 prisonniers politiques. Cette grève de la faim, commencée le 8 mai (jour anniversaire de la victoire sur le fascisme nazi) a duré jusqu'à la fin du mois de juin. Les autorités ont tout fait pour briser cette grève, la seconde, menée en même temps et collectivement par des prisonniers politiques. Elles n'ont pas hésité à mettre en jeu la vie de prisonniers en essayant de briser leur grève en les privant pendant plusieurs jours de toute nourriture liquide .... La grève de la faim, bien que menée dans beaucoup de prisons de R.F.A., a été tout d'abord systématiquement passée sous silence par la presse allemande à de très rares exceptions près, et cela malgré les grèves de la faim de soutien entreprises dans plusieurs villes par les membres des "Comités contre la torture des prisonniers politiques", malgré aussi les nombreuses déclarations faites à la presse par les avocats et malgré la grève de la faim à laquelle participèrent les avocats des prisonniers. Cet acte collectif de résistance des prisonniers politiques soumis à la torture par l'isolement, s'il a été soutenu par de rares groupes de l'extrême gauche, a surtout placé ceux-ci dans l'embarras. Beaucoup ont essayé de parler à cette époque des mauvais traitements dans les prisons, mais ils ont souvent nié qu'il existait un traitement spécial, réservé ausx seuls prisonniers politiques. Ils ont été les premiers à souligner qe l'isolement est également pratiqué contre les prisonniers dits de "droit commun"; toutefois ils n'ont pas voulu voir ou pas cru nécessaire de dire que ces traitements envers les prisonniers "de droit commun" sont occasionnels, la plupart du temps conçus comme "punition" par l'administration d'une prison. Ils n'ont pas été capables de reconnaître que, pour les prisonniers politiques, ces traitements sont la règle, qu'ils sont pratiqués systématiquement, qu'ils font l'objet de recherches scientifiques destinés à les perfectionner et surtout que les traitement spéciaux, dénoncés par beaucoup pour ce qu'ils sont vraiment, des tortures, s'insèrent dans une stratégie globale des pays impérialistes, pour combattre - en détruisant l'identité politique des militants ou en en les exterminant physiquement - les mouvements de libération. L'attitude de groupes se disant "spontanéistes" et qui ont refusé de publier dans leur organe la déclaration des prisonniers politiques montre bien la difficulté qu'éprouve une certaine gauche à admettre dans son pays un type de lutte remettant en question leur "attentisme". Nous y reviendrons plus loin. Malgré ce boycott par la droite et par la gauche, la grève de la faim a été menée collectivement environ un mois et demi et s'est achevée par une conférence de presse donnée à Paris dans les locaux de l'A.P.L. par les avocats des prisonniers politiques, et par une manifestation devant l'ambassade d'Allemagne avec la participation des membres des groupes suivants: A.R.M. (association contre la répression médico-policière), cahiers pour la folie, G.I.A. (groupe d'information sur les asiles), comités contre la torture envers les prisonniers politiques en R.F.A., I.Z.R.U. informationszentrum, Rote Volksuniversitât - Heidelberg, The Mental Patient Union (Grande-Bretagne).
L'initiative de dénoncer les tortures vient donc d'abord des prisonniers politiques eux-mêmes. C'est pourquoi elle est indissociable de leur résistance, qu'elle soit individuelle face à l'armée de bourreaux en vert ou en blanc, ou qu'elle s'exprime collectivement dans des grèves de la faim ou d'autres actions. Nous avons donc non seulement voulu dénoncer, en les décrivant les conditions de détention, démasquer "la "collaboration" de savants et donner la parole aux avocats diffamés, poursuivis dans leur travail de défenseurs; mais surtout laisser s'exprimer les prisonniers politiques en publiant certaines de leurs lettres.
Il n'est cependant guère possible de situer la lutte de ceux qui aujourd'hui sont emprisonnés, torturés sans évoquer leurs praxis avant leur emprisonnement, et leur conception de l'action révolutionnaire. Par ailleurs, nous serons amenés à nous demander pourquoi la dénonciation de la praxis de ces groupes a pu pénétrer jusque dans les rangs d'organisations gauchistes.
Les Temps modernes, mars 1974, No 332, 29ème année. Dossier: les prisonniers politiques ouest-allemands accusent.
Sommaire:
Viktor Kleinkrieg: les combattants anti-impérialistes face à la torture
Sjef Teuns: la torture par privation sensorielle
XXX: les méthodes scientifiques de torture
Christian Sigrist: De Heidelberg au Cap Vert
Klaus Croissant: La justice et la torture par l'isolement
Des détenus politiques témoignent