Une biographie, deux textes récents qui montrent la coninuité de ses combats.
Depuis cinquante ans, Jean-Jacques de Felice exerce son métier d'avocat au service d'un combat : celui des Droits de l'homme.
Son parcours ne cesse de croiser les évènements tragiques de notre histoire. Jean-Jacques de Felice s'est toujours trouvé là où les hommes ont lutté pour la liberté contre la tyrannie des Etats.
A elle seule, l'énumération des luttes pour lesquelles il s'est engagé est impressionnante: les familles d'Algériens pendant la guerre d'Algérie, les responsables du FLN puis les victimes de ces mêmes responsables devenus les chefs de leur pays, les Français insoumis ou objecteurs de conscience, l'apartheid en Afrique du Sud, les déserteurs de la guerre du Vietnam, les paysans révoltés du Larzac, l'avocat Klaus Croissant, les réfugiés italiens accusés de terrorisme, les Kanaks de Nouvelle-Calédonie, les sans-papiers...
Sur son banc d'avocat, Jean-Jacques de Felice a rarement été un homme seul, pratiquant une défence collective avec d'autres avocats pendant la guerre d'Algérie, au sein du GIP (le groupement d'information prisons) aux côtés de Michel Foucault, ou au nom de la Ligue des Droits de l'homme depuis les années soixante.
(source ACAT)
Répression en Nouvelle-Calédonie 25 mars 2008
Une question se pose à propos des récents événements en Nouvelle-Calédonie : le syndicalisme y est-il autorisé ?
Le 17 janvier, un rassemblement de 200 personnes est violemment dispersé par les forces de l’ordre : 200 policiers et gendarmes, soit un par manifestant ! Bilan : 20 blessés, dont cinq gravement chez les manifestants, cinquante interpellations. Dix syndicalistes sont emprisonnés, puis cinq autres arrêtés les jours suivants. Ils resteront cinq semaines à la prison du Camp-Est. Jusqu’à ce que les juges reconnaissent l’irrégularité de la procédure et les libèrent en attendant le jugement au fond. Les dirigeants syndicaux qui avaient échappé aux arrestations ont été spectaculairement recherchés : interventions d’agents masqués du GIPN (équivalent policier du GIGN), perquisitions musclées des domiciles, encerclement des locaux syndicaux. Bref, un déploiement policier qui rappelle inévitablement des moments peu glorieux de l’histoire coloniale.
Qu’ont-ils fait ? Une chose grave assurément, très grave en Nouvelle-Calédonie : ils font grève. Le rassemblement réprimé manifestait sa solidarité avec les grévistes de Carsud en lutte depuis quatre mois. Ils demandent la réintégration d’un chauffeur, délégué syndical, qui a été licencié. Carsud est une entreprise de transport du groupe Veolia. Depuis le début du conflit neuf autres syndicalistes ont été licenciés. Ils sont membres de l’USTKE (Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités), principale organisation syndicale de Nouvelle-Calédonie.
La visite de Christian Estrosi, secrétaire d’Etat à l’Outre-Mer, en octobre 2007, est restée dans les mémoires. Il avait eu peu de temps pour discuter et s’était fait filmer nageant dans le lagon. Rafraîchi mais importuné par le bruit d’un barbecue organisé par l’USTKE en contrepoint de la réception officielle, il avait demandé au préfet, haut-commissaire, de faire intervenir les gendarmes. Le préfet, affichant sa réticence, a été remplacé par le directeur de cabinet d’Estrosi, Yves Dassonville. L’épisode peut être imputé à l’incompétence du secrétaire d’Etat. Sa méconnaissance des réalités locales avait frappé y compris ses amis politiques. Mais un train peut en cacher un autre. Répression antisyndicale dans l’entreprise ; répression antisyndicale à l’extérieur par les pouvoirs publics. La conjugaison est trop spectaculaire pour ne pas suggérer une action concertée. Veut-on briser l’USTKE ?
Voici quelques années déjà, des groupes d’investisseurs potentiels avaient exercé de fortes pressions pour que le droit syndical soit le plus réduit possible. Les richesses locales, le nickel allèchent les firmes transnationales. Et l’existence d’un syndicalisme combatif énerve. D’autant plus lorsqu’il se mêle aussi de défendre l’écologie en soutenant les luttes contre les formes les plus polluantes de l’exploitation minière. On comprend que Dassonville qualifie ses militants de « voyous ».
Une autre question peut alors venir à l’esprit. Dans une visite éclair, le ministre mande la gendarmerie contre un barbecue, contre l’avis du préfet et proclame à la cantonade que la Nouvelle-Calédonie doit rester française ; le nouveau haut- commissaire parle des « voyous » et manie la provocation policière : s’agit-il seulement de répression antisyndicale ? Les raisons qui commandent celle-ci peuvent conduire à une autre décision stratégique : jouer la tension et l’affrontement pour remettre en question les accords de Nouméa. Les intérêts qui s’accommodent mal du syndicalisme peuvent s’agacer aussi de l’autodétermination. Les remises en cause des deux pourraient se combiner harmonieusement, sous les vivats de la droite néo-calédonienne. En tout état de cause, 18 syndicalistes seront jugés le 25 mars à Nouméa. 32 autres le seront le 31 mars. Les médias restent silencieux.
* Paru dans le quotidien Libération du 25 mars 2008.
* Corinne Perron est représentante de l’USTKE (Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités), José Bové est membre de Via Campesina, Jean-Jacques de Félice est avocat et Yves Salesse est membre de la fondation Copernic.
(source europe solidaire)
Larzac - 29 juin 2003 - Avocats du Larzac Interview de mars 2001.
Jean-Jacques de Félice
"Toute une mémoire s’enracine dans les luttes passées" Jean-Jacques de Félice, avocat des paysans depuis les années soixante-dix est venu plaider la relaxe des "dix inculpés de Millau" à Montpellier. Il nous rappelle la prise de conscience collective au moment de la bataille contre l’extension du camp du Larzac. Interview.
Que retenez-vous de l’action des paysans du Larzac dans les années soixante-dix ?
J’aimerais rappeler qu’en 1960 j’avais été frappé par la très forte indifférence des paysans du Larzac face à une détresse très proche d’eux. A cette époque, plusieurs centaines d’Algériens, suspectés de nationalisme, étaient retenus dans un centre d’internement sur le plateau. Les paysans, isolés les uns des autres, marqués par un fort individualisme, connus pour leurs idées assez conservatrices, n’avaient alors manifesté que peu de réactions.
Dix ans plus tard, au moment où se regroupaient les énergies pour contrer les expropriations des paysans et dénoncer les opérations lucratives des politiques, je leur expliquais l’importance de leur lutte dans la mesure où on ne devait pas oublier leur silence devant un tel scandale.
Eux-mêmes dans le désarroi, ils ont été touchés par la solidarité qui se tissait autour d’eux. Unis devant le danger de se voir nier, exproprier, traiter de façon indigne, ils eurent un sursaut de fierté et se rejoignirent dans des actions collectives. Parfois non sans mal. Par exemple, pour ces paysans qui avaient été d’anciens combattants, c’était un déchirement sentimental de renvoyer les livrets militaires, signes d’appartenance.
Je me souviens de l’un d’eux qui voyant arriver toute cette foule qui venait pour les soutenir disait : " Je suis bouleversé par cette foule. ça, c’est du patriotisme ". Peu à peu, leurs valeurs se renversaient. Le patriotisme consistait à défendre sa terre avec le soutien de l’opinion publique. Ces paysans s’ouvraient aux problèmes du monde entier et s’impliquaient dans toute sorte de débats…
Encore aujourd’hui, je trouve remarquable la façon dont s’est organisé cet immense mouvement de solidarité, constitué de personnes aux horizons très divers. A mon avis, l’usage de l’humour a grandement contribué à faire passer bien des messages.
Quels liens faites-vous entre cette époque et le démontage du McDo en août 1999 ?
Je sens une continuité entre ces deux actions. Et peut-être même les luttes du Larzac fondent celles d’aujourd’hui. A mon avis, il ne s’agit pas d’une prise de conscience récente, mais toute une mémoire s’enracine dans les luttes passées. Là aussi, l’action est collective, très orientée vers les problèmes du monde entier et vers l’idée que l’homme n’est pas une marchandise. Et là aussi, le mouvement part de problèmes concrets posés par la pratique du métier de paysan. Comme il y a quarante ans, ce mouvement social tire sa force de la conjonction d’intérêts divers et de cultures différentes. Il n’y a jamais eu un texte idéologique demandant obéissance et acte de foi.
Soulignons qu’au Larzac, la répression a été aussi très forte mais qu’elle a été entravée par cette solidarité de l’opinion publique. N’oublions pas qu ’elle a été une lutte victorieuse, l’extension du camp militaire ne s’est pas faite telle qu’elle avait été prévue.
Une raison d’être optimiste aujourd’hui !
Propos recueillis par Cécile Koehler
Article de campagnes solidaires, n° 150, mars 2001
http://www.confederationpaysanne.fr/cs/150larzac.htm
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François Roux et Jean-Jacques de Félice
Millau fin des années 70
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