Pour consulter le blog: linter.over-blog.com
Pour suivre le procès contre C. Gauger et S. Suder sur le blog : lire
En 2004, la juge qui préside actuellement la Cour dans le procès contre Christian Gauger et Sonja Suder avait prononcé une peine extrêmement minime contre un responsable de la police de Francfort, Wolfgang Daschner qui avait décidé de faire utiliser la torture dans une enquête. La Cour européenne des Droits de l'Homme avait réagi contre ce jugement.L'article suivant décrit avec précision cette affaire, ses implications et son inscription dans un courant existant dans les milieux judiciaires et médicaux. Il permet de comprendre l'attitude de cette juge dans le procès contre C. Gauger et S.Suder, qui veut utiliser des déclarations extorquées à Hermann Feiling dans des conditions inhumaines et illégales, et le citer comme témoin au risque d'aggraver son état de santé.
La torture en cas d'urgence ?
Par Justus Leicht
Le 3 Juillet 2004
Utilisez cette version pour imprimer
Le parquet de Francfort-sur-le-Main a accepté, à la fin du mois de juin 2004, une plainte enregistrée contre Wolfgang Daschner, commissaire principal de la police judiciaire. Un an et demi a passé depuis qu'une enquête le concernant avait débuté à la fin du mois de janvier 2003. Le procès pourrait débuter au mois de novembre 2004.
Au mois d'octobre 2002, Daschner avait menacé d'infliger de fortes souffrances au ravisseur du fils de banquier, Jakob von Metzler âgé de 11 ans, s'il ne révélait pas le lieu où il avait caché l'enfant. La menace eut de l'effet, mais l'enfant avait déjà été tué au moment où elle fut proférée. Daschner aurait d'ailleurs mis sa menace à exécution, comme il l'expliqua fièrement par la suite. À cet effet il avait même rédigé une note destinée au dossier et fait appel à un expert en sport de combat de la police.
L'accusation visant Daschner est remarquable surtout en ce que, du point de vue juridique, elle ne concerne pas la menace de torture.
L'article 343 StGB (code pénal allemand) ayant trait explicitement à cette accusation et intitulé « Extorsion de déposition » stipule que : « Tout titulaire de fonctions officielles appelé à participer à une enquête criminelle qui cause un dommage physique, a recours à la violence ou à la menace de violences ou de torture psychologique pour extorquer, dans le cadre de l'enquête, un témoignage ou une déposition ou pour l'empêcher, est passible d'une peine de prison allant d'un an à dix ans.»
Daschner n'est cependant accusé que pour avoir usé de la contrainte dans un cas particulièrement grave d'abus de pouvoir en tant qu'agent de la fonction publique.
Le parquet justifia cela en disant que pour Daschner il ne s'était pas agi d'obtenir un aveu mais « de sauver la vie de l'enfant ». Bien qu'une telle subtilité ne s'appuyât ni sur le texte même de la loi, qui ne fait pas de différentiation à ce sujet, ni même sur la littérature qui la commente, cette affirmation ne fut ni contestée ni critiquée par la presse et les médias allemands.
Il existe deux différences essentielles entre les deux délits: tout d'abord, le simple délit de contrainte contient la soit disante « clause de répréhensibilité », ce qui signifie que la nécessité du recours à une conduite incluant la violence ou la menace de violence n'est pas forcément contre la loi, elle l'est seulement si le tribunal constate expressément la « répréhensibilité » de l'action contraignante. Dans le cas de l'extorsion de déposition, la répréhensibilité est déjà donnée par le fait en soi, que la police fait parler quelqu'un en ayant recours à des moyens contraires à la loi.
L'extorsion de déposition est passible d'une peine de réclusion d'au moins un an et constitue donc un crime, la contrainte aggravée entraîne une sanction minimum de six mois de réclusion et constitue donc un délit. Quiconque est condamné pour un crime doit quitter la fonction publique si, au contraire, Daschner était condamné pour incitation à la contrainte aggravée cette dernière sanction resterait à la discrétion du tribunal.
La formulation de la plainte en soi laisse présager des doutes quant à la décision du parquet en ce qui concerne la répréhensibilité du comportement de Daschner.
Pour son supérieur, le président de la police de Francfort, il ne fait aucun doute que Daschner a agi dans une « situation d'urgence ». Du point de vue juridique, cela n'est pas justifiable ; il ne se trouvait pas dans des circonstances extraordinaires, mais bien dans une situation pour laquelle il existe, dans les lois policières et le code de procédure pénale, une réglementation extrêmement précise concernant le comportement à adopter par les organes répressifs de l'Etat. Tout ce qui serait permis à un proche désespéré qui se trouverait subitement dans une situation où sa vie serait menacée sans pouvoir compter sur l'assistance de l'Etat, n'est précisément pas permis à un fonctionnaire de police au cours de son enquête.
Néanmoins, la plupart des défenseurs de Daschner argumentent comme si c'était la première fois qu'on enquêtait sur un crime grave où la vie d'un être humaine était en jeu et comme si le législateur n'avait pas déjà pensé à interdire la torture et l'arbitraire dans ce genre d'enquête. En effet, tout le monde sait que les meurtres et les assassinats, les enlèvements et le terrorisme, la haute trahison et la trahison militaire étaient antérieurs à l'actuelle législation pénale. C'est également vrai de la torture et de la peine de mort.
Ce qui, du point de vue de l'histoire, est par contre relativement nouveau, c'est la restriction de la coercition étatique également et précisément vis-à-vis de ceux qui sont présumés avoir commis ou qui ont réellement commis des crimes graves. Elle est un produit du siècle des Lumières, de la révolution démocratique et de l'action du mouvement ouvrier. Ce qui l'aida à s'imposer, du moins en Europe et aux Etats Unis, c'est l'expérience des dictatures fascistes pendant la deuxième guerre mondiale.
Aujourd'hui, où le monde doit à nouveau être colonisé au moyen de guerres de conquête brutales et être partagé entre les puissances occidentales, les cercles dirigeants considèrent de plus en plus comme dépassés le maintien de l'interdiction de torturer, la démocratie et l'existence d'un Etat de droit à l'intérieur et à l'extérieur.
Cela s'exprima nettement dans les déclarations de Michael Wolffsohn, professeur à l'Ecole militaire de la Bundeswehr. Wolffsohn expliqua en mai dans une interview télévisée qu'il condamnait certes les tortures à la prison d'Abou Ghraib, mais considéra que : « la torture ou la menace d'utilisation de la torture sont des moyens légitimes dans la lutte contre le terrorisme. ». Il ajouta : « Nous sommes dans une situation historique entièrement nouvelle, nous devons totalement repenser la situation et parvenir à des conclusions qui ne nous plaisent peut-être pas. Je ne dis pas que ce à quoi je pense me plaise, mais je dois tenir compte de la nouvelle situation ».
Lorsque la journaliste qui l'interviewait remarqua qu'en Irak et ailleurs on mettait toujours les combattants ennemis dans la catégorie « terroristes » au lieu de les traiter comme les soldats de l'adversaire, Wolffsohn répondit qu'au fond on ne pouvait pas faire de distinction entre un civil quelconque et un combattant de la résistance, ni entre ce dernier et un terroriste : « Et en Irak justement nous avons après la fin officielle des combats un mélange de résistance normale, de guérilla urbaine et de terrorisme et, dans le combat contre ces diverses formes de violence, il faut procéder différemment. Lorsque par exemple une femme enceinte, qui exécute de toute évidence une mission terroriste, se fait exploser et que, en tant que femme enceinte, elle jouit de la protection dont jouit une femme enceinte chez les gens normaux, et qu'elle se fasse exploser et avec elle de nombreuses autres personnes, on ne peut pas faire comme s'il était possible dans ce cas de continuer d'avoir des relations civilisées normales. »
Autrement dit, dans un pays occupé il est légitime pour l'armée d'occupation de torturer même des femmes enceintes, puisqu'il se pourrait qu'elle ait une mission « terroriste » à remplir, en l'occurrence préparer un attentat contre l'occupant!
Les déclarations de Wolffsohn ayant rencontré une résistance considérable dans une partie de la presse et dans la population en général, le ministre de la Défense, Peter Struck (SPD), convoqua le professeur pour une discussion au ministère sans plus. A la suite de quoi, Wolffsohn expliqua que cette « conversation clarifiante » s'était déroulée dans une « atmosphère plaisante ». Il ne s'était excusé de rien et ne s'était pas rétracté. Dans une conférence de presse, il souligna expressément qu'il continuait de tenir pour « légitimes » « les réflexions sur la possibilité de pratiquer la torture ».
Il indiqua aussi qu'il n'était pas le seul à adopter cette attitude: « La discussion sur l'usage légitime de certaines mesures de défense contre les terroristes a lieu depuis longtemps parmi des juristes et des politiciens de renom au niveau national et international. Je cite pour mémoire par exemple les professeurs de l'Université de Harvard, Dershowitz et Ignatieff, le juriste de Heidelberg Brugger, la dernière édition en date du Commentaire de la loi fondamentale Maunz-Dürig-Herzog, tout comme, en 1976, Ernst Albrecht, l'ancien ministre-président (du Land de Basse-Saxe) ainsi qu'Oskar Lafontaine (ancien président du SPD et ancien ministre des finances)».
|