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LETTRE OUVERTE
AU MINISTRE DE LA JUSTICE, POUR L'INTEGRATION ET L'EUROPE, DU LAND DE HESSE
A
Herrn Jörg-Uwe Hahn
Hessischer Minister der Justiz, für Integration und Europa
Luisenstr. 13
65185 Wiesbaden
Heidelberg, le 30 juin 2013
Lettre ouverte des parents et amis de Sibylle S. et Hermann F.
Monsieur le Ministre,
Depuis plusieurs mois se déroule devant le tribunal du Land de Francfort un procès contre deux militants de 80 et 71 ans, membres présumés de l'opposition militante des années 70. Les faits qui leur sont reprochés remontent à plus de trente-cinq ans. Sans l'application de lois d'exception, ces faits seraient depuis longtemps prescrits. En outre, l'organisation militante, à laquelle, selon l'Etat, ils auraient appartenu (les Cellules révolutionnaires, en abrégé RZ), s'est dissoute il y a 20 ans. De ce fait, le risque imminent pour la société et la sécurité de l'Etat ne peut plus être invoqué. Après tant d'années, ce combat judiciaire contre des militants politiques considérés comme des ennemis présumés de l'Etat rencontre peu d'intérêt même dans l'opinion publique. Alors pourquoi tous ces efforts ? Sur quelles bases matérielles ce procès repose-t-il? Sur quelles preuves l'accusation repose-t-elle?
Ce procès s’appuie d'une part sur un témoignage à charge, allant dans le sens de l'Etat et des autorités, obtenu en échange d'une réduction de peine, dont la "crédibilité" est ainsi fortement compromise.
Le deuxième témoignage, quant à lui, n'a pu être obtenu que par l'application d'une loi contraire aux droits de l'homme, qui permet la mise en détention d'une personne pour la contraindre à témoigner. Dénonciation et privation de liberté, destructrice et portant atteinte à l'intégrité de la personne, dans le seul but d'obtenir un témoignage, sont en réalité des moyens dignes de ceux utilisés par l'inquisition contre les hérétiques ou aujourd'hui, par les dictatures contre leurs opposants politiques.
Il reste enfin les "éléments", qui ont été extorqués en violation des droits fondamentaux à un "témoin" grièvement blessé et profondément traumatisé, psychiquement, alors qu'il était totalement isolé du monde extérieur et soumis au seul pouvoir de l'Etat et des enquêteurs. Utiliser ces "comptes-rendus d'interrogatoires" dans un procès, n'est pas seulement une nouvelle négation de la dignité humaine de la personne "interrogée", mais qui plus est, cela légitime des pratiques d'enquête contraires aux droits fondamentaux. Dans ce combat de l'Etat contre ses prétendus ennemis, l'être humain est réduit à l'état de simple moyen dépourvu de ses droits. Ce sont précisément de telles pratiques d'interrogatoire et d’instruction, qui brouillent la frontière entre des procédures relevant du droit et celles relevant d'un "droit pénal de l'ennemi".
Mais tous les moyens sont-ils justifiés pour poursuivre a posteriori des militants politiques, même s'ils sont considérés révolutionnaires ?
Nous, signataires de cette lettre officielle pensons que non. Les comptes-rendus d'interrogatoires d'Hermann F., qui ont débuté alors qu'il était encore à l'hôpital et ensuite alors qu'il était isolé dans des casernements policiers, ne devraient en aucun cas constituer la base d'un procès, si les droits fondamentaux et garantis par la Constitution étaient respectés. Pourtant encore aujourd’hui le tribunal s’obstine à exploiter l'état de désorientation dans lequel Hermann. F. se trouvait du fait de ses graves blessures et des fortes doses de sédatifs auxquels il était soumis et qui avait été utilisé impitoyablement à l'époque par les enquêteurs. 35 ans après les faits, convoquer cette personne comme "témoin" ne peut être que l'expression d'une hostilité fondamentale. Jusqu'à quand un être humain atteint dans son corps et dans son esprit, tourmenté pour obtenir des informations, mis sous pression par l'Etat, peut-il être "entendu" encore et encore pour les fins d'une enquête ? Le tribunal veut-il de nouveau le confronter à ces "comptes-rendus d'interrogatoires"? Qu'en est-il de la dignité humaine que l'Etat doit selon les termes de la constitution garantir et protéger ?
Hermann F. s'est depuis longtemps rétracté, revenant sur ces déclarations extorquées par les enquêteurs. Le citer signifie mettre sa santé en danger, notamment par le risque de nouvelles crises d'épilepsie.
Sa citation comme témoin ne fait que lui démontrer de manière humiliante son impuissance face au pouvoir d'Etat. Est-ce le but? Nous en appelons à vous et vous demandons de prendre position contre la citation de Hermann F. comme témoin.
Il en va de même pour Sibylle S., l'ancienne compagne et camarade de Hermann F., dont la mise en détention pour refus de témoigner, est là encore une violation des droits de l'homme. Elle avait déjà été condamnée il y a plus de trente ans à une peine de 15 mois de prison sur la seule base de ces mêmes comptes-rendus d'interrogatoire obtenus dans des conditions contraires aux droits fondamentaux et a passé neuf mois en prison. Elle n'a pas à contribuer à ce procès qui s'appuie de nouveau sur ces interrogatoires et refuse pour cela toute déclaration. Aujourd’hui, l’Etat s'en prend une fois de plus à elle en lui infligeant une détention pouvant aller jusqu'à six mois, mettant en péril sa vie professionnelle et familiale.
Le tribunal, sachant bien que l'accusation repose sur des témoignages peu crédibles ou obtenus dans des conditions contraires aux droits fondamentaux, voudrait contraindre Sibylle S. à témoigner, espérant finalement la voir soutenir l'accusation. C'est seulement pour servir une volonté impitoyable de poursuivre ces militants qu'est violée l'intégrité de Sibylle S. alors que l'Etat se devrait de la protéger. Nous en appelons à vous pour ordonner sa libération immédiate et accepter sa décision de refuser de témoigner.
Le temps est également venu d'arrêter les poursuites contre Sonja Suder et Christian Gauger. Et de libérer Sonja Suder.
Car, dans ce procès, il apparaît que la construction de la vérité peut provenir uniquement de témoignages forcés ou de méthodes d'interrogatoires contraires aux droits de l'homme. Ce procès contrevient donc aux principes juridiques et aux droits de l'Homme qui sont lesfondements d’un Etat démocratique. À moins que les autorités et la cour pensent pouvoir s'en affranchir, après trente années, en se ralliant à la logique du "combat contre l'ennemi".
Mia Lindemann
Nous soutenons l'appel de la famille et des amis de Sibylle S. et Hermann F., pour la libération de Sibylle S., à renoncer à faire citer Hermann F. comme témoin et à mettre fin au procès contre Sonja Suder et Christian Gauger.
Komitee für Grundrechte und Demokratie e.V., Köln
Comité pour les droits fondamentaux, Cologne
Vereinigung Demokratischer Juristinnen und Juristen e.V., Krefeld
Association des juristes démocrates, Krefeld
Uwe Sievers, Journalist, Berlin - Journaliste
Prof. Wolf-Dieter Narr, Berlin
Prof. Dr. Michael Hoenisch, Berlin
Edgar Weick, Frankfurt a.M., Pädagoge- pédagogue
Malah Helman, Berlin, Künstlerin - artiste
Dr. Richard Kelber, Dortmund, Kritiker - critique
Prof. Markus Wissen, Berlin, Hochschullehrer - Professeur
Prof. Dr. Birgit Sauer, Wien
Dr. Elke Steven, Köln, Soziologin - sociologue
Martin Singe, Bonn, Theologe - théologue
Martin Huhn, Mannheim, Industriepfarrer i.R. - prêtre
Jürgen Lodemann, Freiburg, Schriftsteller - écrivain
Dr. Torsten Bewernitz, Mannheim, Politologe- politologue
Mario Damolin, Heidelberg, Journalist - journaliste
Dr. Nadja Rakowitz, Maintal, Geschäftsführerin des Vereins demokratischer Ärztinnen und Ärzte
Secrétaire de l'association des médecins démocrates
Ralf Kliche, Maintal, Lehrer - professeur
Peter Kühn, Flemlingen , Schulleiter a.D. - directeur d'école
Et 74 autres signataires