Une question se pose à propos des récents événements en Nouvelle-Calédonie : le syndicalisme y est-il autorisé ?
Le 17 janvier, un rassemblement de 200 personnes est violemment dispersé par les forces de l’ordre : 200 policiers et gendarmes, soit un par manifestant ! Bilan : 20 blessés, dont cinq gravement chez les manifestants, cinquante interpellations. Dix syndicalistes sont emprisonnés, puis cinq autres arrêtés les jours suivants. Ils resteront cinq semaines à la prison du Camp-Est. Jusqu’à ce que les juges reconnaissent l’irrégularité de la procédure et les libèrent en attendant le jugement au fond. Les dirigeants syndicaux qui avaient échappé aux arrestations ont été spectaculairement recherchés : interventions d’agents masqués du GIPN (équivalent policier du GIGN), perquisitions musclées des domiciles, encerclement des locaux syndicaux. Bref, un déploiement policier qui rappelle inévitablement des moments peu glorieux de l’histoire coloniale.
Qu’ont-ils fait ? Une chose grave assurément, très grave en Nouvelle-Calédonie : ils font grève. Le rassemblement réprimé manifestait sa solidarité avec les grévistes de Carsud en lutte depuis quatre mois. Ils demandent la réintégration d’un chauffeur, délégué syndical, qui a été licencié. Carsud est une entreprise de transport du groupe Veolia. Depuis le début du conflit neuf autres syndicalistes ont été licenciés. Ils sont membres de l’USTKE (Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités), principale organisation syndicale de Nouvelle-Calédonie.
La visite de Christian Estrosi, secrétaire d’Etat à l’Outre-Mer, en octobre 2007, est restée dans les mémoires. Il avait eu peu de temps pour discuter et s’était fait filmer nageant dans le lagon. Rafraîchi mais importuné par le bruit d’un barbecue organisé par l’USTKE en contrepoint de la réception officielle, il avait demandé au préfet, haut-commissaire, de faire intervenir les gendarmes. Le préfet, affichant sa réticence, a été remplacé par le directeur de cabinet d’Estrosi, Yves Dassonville. L’épisode peut être imputé à l’incompétence du secrétaire d’Etat. Sa méconnaissance des réalités locales avait frappé y compris ses amis politiques. Mais un train peut en cacher un autre. Répression antisyndicale dans l’entreprise ; répression antisyndicale à l’extérieur par les pouvoirs publics. La conjugaison est trop spectaculaire pour ne pas suggérer une action concertée. Veut-on briser l’USTKE ?
Voici quelques années déjà, des groupes d’investisseurs potentiels avaient exercé de fortes pressions pour que le droit syndical soit le plus réduit possible. Les richesses locales, le nickel allèchent les firmes transnationales. Et l’existence d’un syndicalisme combatif énerve. D’autant plus lorsqu’il se mêle aussi de défendre l’écologie en soutenant les luttes contre les formes les plus polluantes de l’exploitation minière. On comprend que Dassonville qualifie ses militants de « voyous ».
Une autre question peut alors venir à l’esprit. Dans une visite éclair, le ministre mande la gendarmerie contre un barbecue, contre l’avis du préfet et proclame à la cantonade que la Nouvelle-Calédonie doit rester française ; le nouveau haut- commissaire parle des « voyous » et manie la provocation policière : s’agit-il seulement de répression antisyndicale ? Les raisons qui commandent celle-ci peuvent conduire à une autre décision stratégique : jouer la tension et l’affrontement pour remettre en question les accords de Nouméa. Les intérêts qui s’accommodent mal du syndicalisme peuvent s’agacer aussi de l’autodétermination. Les remises en cause des deux pourraient se combiner harmonieusement, sous les vivats de la droite néo-calédonienne. En tout état de cause, 18 syndicalistes seront jugés le 25 mars à Nouméa. 32 autres le seront le 31 mars. Les médias restent silencieux.