Témoignages
Mercredi 4 juin 17 h 50 En sortant de la réunion de rédaction de la revue Commune, je reçois ce texto : « Attention Métro la Chapelle rafle en cours ». Impossible d’être partout : une marche est prévue à Montreuil entre les foyers de travailleurs immigrés pour protester contre les contrôles et les arrestations de sans-papiers qui se multiplient aux abords de leur domicile. Depuis trois semaines, nous nous rassemblons chaque mercredi, comité anti-expulsion, collectif de soutien aux sans-papiers, parents d’élèves de RESF et syndicalistes. Nous nous organisons contre les rafles et les expulsions, faisant du bruit autour des foyers pour avertir les voisins que des rafles ont quotidiennement lieu dans leur quartier et leur montrer qu’il est possible de s’organiser pour empêcher ces arrestations.
Retour en arrière
À la fête des foyers, le samedi 31 mai, une camarade a pris la parole pour demander que la mairie de Montreuil, et plus particulièrement Dominique Voynet, affiche clairement et de façon visible, son opposition aux rafles qui se sont déroulés sur la ville. Mme la maire débarque, s’empare du micro et s'adresse très agressivement à notre camarade en disant qu'elle et son équipe ont agi pour que M. Dramé ne soit pas expulsé. Elle rejette la faute de l'expulsion sur le collectif de sans-papier de Montreuil qui ne lui aurait pas fourni les trois fiches de salaire réclamées par le préfet mais « des bouts de papier ». De fait, Mme Voynet n'a pas répondu à la question ; elle a parlé de l'expulsion de Dramé pour faire croire qu'elle s’activait, tout en incriminant le collectif qui n'aurait pas fourni ce sésame de trois fiches de salaire.
Après sa prise de micro quelques échanges ont lieu entre l'équipe municipale (vingt personnes à peu près) et notre camarade. Ce ne sont que des attaques personnelles associées à des sketchs d’auto congratulation : « MOI j'étais à Saint-Bernard. MOI ceci, MOI cela... ça ». Signe des temps, on se croirait au Sarko show. La meute des bobos est prête à mordre et Mme Voynet n’est pas en reste.
— Qu’est-ce qui les a rendus si niaiseux ? demande une de ces sympathisantes.
— On sait que le pouvoir rend obtus, mais il peut aussi rendre dangereux ! remarque une autre camarade.
Mercredi 4 juin 18 h 10
Une heure avant la marche prévue, un sans-papier est arrêté. Les « gardiens de la paix » de Montreuil se sont hâtés de pratiquer un contrôle au faciès, provocation évidente de la part du commissaire principal Bérot qui nous quitte le mois prochain, individu qui s’illustra lors du CPE et de l’affaire du Gazomètre qui fit de nombreux blessés.
J’en garde en moi-même un souvenir cuisant et gage que cet énergumène veut quitter la ville sur un coup de panache.
Cependant, venant du foyer de Rochebrune, dans le haut-Montreuil, la manifestation descend la rue Paul-Vaillant-Couturier et s’arrête devant le commissariat, avec une banderole :
Liberté de circulation !
Aux fenêtres du premier et du deuxième étage, les photographes de la police mitraillent avec des appareils numériques. Une voiture de ronde stoppe devant le portail électrique du commissariat, des membres de la BAC se ruent pour protéger l’entrée, car il est évident, n’est-ce-pas, (lire Le Parisien) que nous voulions l’attaquer !
Le rassemblement augmente, scandant : « Libérez notre camarade ! » ; certains chantent, timidement, la Semaine sanglante, « …les mauvais jours finiront… gare à la revanche quand tous les pauvres s’y mettront ! » ; d’autres essaient d’obtenir un contact avec la mairie, mais les numéros des élus sont sur messagerie.
Devant le commissariat, la foule grossit. Nous voyons les policiers s’agiter derrière les fenêtres comme des pantins. On se croirait dans un film de René Clair.
19 h
Soudain, le sémillant commissaire Bérot, grotesque avec son écharpe tricolore à pompons dorés, apparaît derrière une vitre avec un porte-voix. Au premier rang on ne perçoit, à peine audibles, que les mots : « Dernière Sommation ! » (Il n’y en a pas eu d’autres). Ses hommes, chauffés à blanc, n’attendaient que ça pour foncer.
Finita la comædia, la bouffonnade tourne au tragique. Un gradé désigne les manifestants à arrêter. Nous essayons de contenir les flics afin de laisser du temps aux sans-papiers de se réfugier à l’écart, mais la charge est d’une violence extrême. Les commis de la BAC se lâchent allégrement, ils frappent en dehors de tout processus d’arrestation, en public, sans se gêner. Ils envoient les lacrymos au visage, cognent les têtes contre les vitrines, coincent contre les voitures en stationnement, tapent dans le tas au hasard. Ils matraquent côtes et crânes, jouent du tonfa dans nos tibias pour nous faucher — au sol, un manifestant est plus facile à rosser.
Des excités du flash ball jubilent de tirer des balles caoutchouc à bout portant. Ils s’en donnent à cœur joie, les keufs ! On sent qu’on leur a laissé toute liberté de se défouler pour réprimer ceux qui à Montreuil, dans les foyers, dans les quartiers, jour après jour, s’organisent contre les rafles, contre les expulsions. Il s’agit de nous faire baisser la tête par les coups, les humiliations, l’enfermement.
Des manifestants, sauvagement interpellés, sont emmenés au commissariat à coups de matraques. Huit arrestations dont trois sans-papiers. Les pompiers sont appelés pour les blessés. Un sans-papier part à l'hôpital à la suite d’un tir de flash ball dans les testicules. Alors qu'elles s’interposaient pour empêcher quatres fonctionnaires de la BAC de tabasser un sans-papier à terre, des camarades sont sonnées à coups de tonfa. L'avocate du collectif des sans-papiers a reçu de violents horions. Bien que très choquée, elle reste toute le nuit au commissariat pour recevoir les dépositions et PV des policiers. Un grand merci à Me Elise Vallois !
19 h 30
Retour au calme. Les nez de boeufs sont rentrés à l’étable. Mais les habitants sont descendus de chez eux. Sur la chaussée et le trottoir en face du commissariat, le rassemblement ne cesse de grossir. Nous sommes à ce moment-là environ 300.
Un médecin de passage dans la rue se présente et demande à voir les blessés. Il est refoulé. Nous reprenons nos slogans pour demander la libération des camarades, tandis qu'au carrefour un grand feu est allumé et entretenu avec les poubelles du quartier. Les pompiers viennent à plusieurs reprises évacuer des personnes blessées et détenues en garde-à-vue. Révoltés par les violences policières, les habitants de l'immeuble situé en face du commissariat n’ont cessé de prendre des photos et des vidéos.
Je cause avec un riverain qui aurait été probablement molesté sans la présence du chien qu’il tient en laisse. Il se dit effaré du total manque de professionnalisme et de formation des jeunes policiers. « Ils se baladaient en tous sens dans la foule sans manœuvre clairement organisée, alors l’isolement d’un ou plusieurs policiers dans une foule hostile risque de les amener à utiliser leurs armes ». Mon interlocuteur ne comprend pas que ceux-ci procèdent à des arrestations sans savoir que faire que faire de tous ces manifestants, lesquels protestent somme toute contre une arrestation d’une personne qui se trouve dans le commissariat : « Pour moi, une telle incompétence dans l’action et dans le commandement mèneront à des actes irréversibles. Le caractère massif et permanent de la répression contre les étrangers provoquera inévitablement des réactions et des évènements du type guerre civile… C’est une grave irresponsabilité du pouvoir, pour autant qu’il n’y ait pas volonté de multiplier les situations pousse-au-crime dans le but de recourir à nouveau à des procédures d’état d’urgence. »
20h 50
De plus en plus de monde devant le commissariat, quatre-cents personnes environ. Les poubelles continuent à brûler au milieu de la rue. Beaucoup de tension, des flics très remontés. Ils ont sorti les chiens et se mettent en tenue de combat : casques, boucliers, matraques, gazeuses, flash-balls. Ils sont sur le point de charger de nouveau tandis que d’autres flics se préparent dans les rues adjacentes. Les slogans reprennent, de plus en plus fort :
Police partout, justice nulle part !
Libérez nos camarades !
21 h
Dominique Voynet déboule au pas de charge. La tension retombe pendant que la maire discute avec le commissaire. Elle veut visiter les camarades arrêtés, mais le policier refuse l’entrée de son commissariat au premier magistrat de la commune. Survient, Jean-Pierre Brard, l’ancien maire, à qui ce privilège est accordé — privilège de l’ancienneté ? Ensuite Mme Voynet peut entrer à son tour.
Le Conseil municipal se déploie dans la foule, écharpe bien en vue. Le message circule : « Voynet parle avec le préfet. »
22 h
Après négociation avec Dominique Voynet, l'avocate de retour de l'hôpital peut entrer à son tour dans le commissariat pour rencontrer les gardés-à-vue.
Le calme perdure, hormis quelques bousculades et les interventions de certaines personnes pour éviter que tout dégénère, mais tous sont conscients du sentiment d'injustice qui frappe les sans-papiers et leurs soutiens.
Scènes de magie à Montreuil
Cette nuit-là, nous avons vu de bien belles images : ainsi celle de ces élus arrêtant un camion de pompiers venus éteindre notre joli feu de camp montreuillois, les bloquant par une ribambelle d’écharpes tricolores faisant la chaine !
Si la nouvelle maire de Montreuil a servi de tampon, elle a fait de son mieux, mais en Sarkozie l’impuissance des élus n’est plus une secret. Mise de côté par les policiers, la première magistrate de la commune n’a pu qu’assister, impuissante, aux charges de la BAC de sa bonne ville, d'une violence inouïe, flash-balls et lacrymos à tout va. La ratonnade prend pour première cible un groupe de jeunes dont l’un deux, fils d'un militant associatif de Montreuil, filmait ce qui se passait. Arrêté, il est accusé d’avoir lancé un projectile sur la police — on ne dira jamais assez que la caméra est une arme !
La colère continue de monter. Les nouvelles continuent de se propager. Des centaines de personnes affluent de Montreuil et des environs, alimentant le feu allumé au milieu du carrefour.
En revanche, les lampadaires de la rue Paul-Vaillant-Couturier sont éteints pour empêcher la police de filmer depuis les toits.
Près de la mairie où les palissades du Cœur de ville sont mises à terre, d’autres poubelles brûlent. La police charge de nouveau et repousse une partie des manifestants jusqu’à la Croix de Chavaux.
Il y a de nouvelles arrestations pendant la nuit, mais Montreuil reste debout et la mobilisation ne faiblit pas cependant que les habitants du « neuf trois » continuent d’arriver devant le commissariat. Cris pour la libération des camarades interpellés, contre les rafles, les expulsions, la police.
Jeudi 5 juin 02 h
À deux heures du matin, devant l’ampleur de la mobilisation, la police cède, libérant six personnes ; deux autres seront relâchées le matin, l’une avec une convocation. Ces délinquants sont accusés d'avoir participer à une manifestation armée, car brandir des casseroles en tapant dessus est devenu par magie une arme « par destination » La gent policière semble décidée à blinder les dossiers d'accusations. À Montreuil, comme partout, le gouvernement continue à montrer son visage antisocial et répressif...
Vendredi 6 juin
À la première heure, C. dépose une plainte à Bobigny avec son certificat médical et il y a d’autres voix pour se révolter contre ces violences abjectes. Il reste trois personnes détenues, toutes sans-papiers. Quand les plus écrasés sortent de l’ombre et s’organisent contre le sort qui leur est réservé, c’est sur eux que la répression s’abat le plus brutalement. Nous ne sommes pas encore assez nombreux, nous avons besoin de tous pour libérer nos camarades et continuer d’empêcher les rafles.
Aux dernières nouvelle, tous les sans-papiers arrêtés mercredi à Montreuil et passant en comparution immédiate à Bobigny à la 17e chambre ont été relâchés. L'un des trois devait comparaître devant la 17e chambre du Tribunal de Bobigny, mais il a été hospitalisé pour une pathologie respiratoire et l'audience compromise. Dans l'attente d'un procès le 4 juillet, tous ont été remis en liberté. Cette mesure exceptionnelle confirme l'utilité des mobilisations en cours pour que tous soient libérés, leurs chefs d'inculpations retirés et que des mesures d'expulsions ne soient pas prononcées.
Pour conclure, ultime scène de magie, au matin dans le Parisien (Seine-Saint-Denis), cette déclaration de David Skuli, directeur départemental de la sécurité publique : « La police a agi avec calme et n’a pas été violente. Elle a permis d’éviter des dérapages plus importants. » Rien de surprenant : le chien ne sait qu’aboyer qu’avec la Voix de son maître.
Jean-Pierre Bastid, 9 juin 2008