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L'Internationale

L'Internationale, 1983. Le premier numéro d'un journal paraît, qui reprend le titre de celui publié en 1915 par Rosa Luxemburg - emprisonnée - alors que s'affrontaient les peuples entraînés dans la plus grande des boucheries par le capitalisme, l'impérialisme, et alors que s'étaient ralliés à celle-ci les partis de l'Internationale. En 1919, ceux-ci mettront à mort celle qui avait résisté et qui pour cela avait été emprisonnée. L'internationale 1983 comptera 11 numéros, avant de devoir s'arrêter momentanément : Il témoignera de luttes - et certains qui menèrent ces luttes sont encore aujourd'hui emprisonnés. Il réfléchira à l'évolution du capitalisme - et cette réflexion reste toujours aussi nécessaire. Le blog linter est la chronique d'un journal, c'est par là même la chronique des luttes menées alors, cela pourra être aussi la chronique de luttes menées ... aujourd'hui.

      

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Aux camarades, visiteurs du blog, bienvenue ...
Aux camarades qui viennent de rejoindre le blog, bienvenue. A ceux aussi qui lui rendent visite à l'occasion, bonjour. Le combat n'est jamais un échec, s'informer est déjà un pas vers la conscience. L'ordre et la sécurité ne sont pas le désir de tous, s'aliéner par tous les moyens de la société d'aujourd'hui ne nous intéresse pas. Nous ne cherchons pas à exploiter l'autre. Nous ne tournons pas la page des combats passés, ils sont partie de nous. Et chaque mot que nous lisons, chaque image  que nous voyons, contribue à nous former. Nous ne sommes pas dupes. Nous sommes solidaires. Nous chassons les chasseurs d'enfants. Et nous sommes  le jour face à la nuit sans cesse renouvelée de la violence et de l'oppression. Il n'y a pas d'âge pour la révolte. Et 68 rejoint l'esprit de la Bastille de ce 6 mai où les pavés ont su de nouveau voler. La révolte est une et se rit de toutes les différences.

Pour tous ceux qui viennent sur ce blog, qui font "la route des insoumis" que décrit Nathalie, qui sont et seront les révolutionnaires de demain dont parle Jean-Marc, qui se reconnaissent ce droit à l'insurrection que revendique Georges. Pour chacun, ce collage de Joëlle, mieux qu'un bras d'honneur, à tous ceux qui sont ce que nous refusons.

La queue de la baleine, Nathalie, nous ne la lâcherons pas!

Archives

Joëlle Aubron

Sur ce collage, un poème. linter
C'est l'automne, et ce n'est pas l'automne,
Ces femmes qui marchent
Des combattantes?
Des femmes qui marchent?
Vie de tous les jours ou vie d'exception?
Guerre d'Espagne,
Journées d'après occupation?
Journées d'après l'occupation?
La vie est simple
comme l'est souvent le combat

Entre l'or du feuillage
et le noir et blanc de la vie
Cette image sensible

Georges lors d'une audience devant le JAP en 2005
En tout premier lieu, du fait qu'il va être question ici de mes inclinaisons politiques et de mon évolution depuis 1987 au sein du monde carcéral, je tiens à faire une déclaration de principe : ainsi, conformément à la Constitution de la République française de 1792, repris par l'Article 35 du 26 Juin 1793 *, stipulant un droit à l'insurrection, qui a servi à Valmy pour sauvegarder et étendre la révolution, qui a servi en 1871 avec la Commune de Paris contre l'occupation Prussienne, qui a encore servi en 1940 contre l'occupation national-socialiste allemande et la collaboration pétainiste française, et pour encore servir concrètement après 1968 dans la plupart des pays d'Europe de l'Ouest avec l'insurrection armée larvée et latente contre chaque Etat capitaliste en place et contre l'OTAN ; une Constitution qui après avoir servi depuis son avènement de réfèrent à la plupart des peuples de par le monde pour se libérer des différents maux entretenus que sont, soit l'occupation étrangère, soit l'oppression de classe, soit l'exploitation de l'homme par l'homme jusqu'à l'esclavagisme, leur a ouvert une perspective politique. Et dès lors dans l'assurance qu'elle restera de même une référence au futur pour tous les peuples épris de Liberté, d'Egalité, de Fraternité et de Démocratie, conformément à cette Constitution de 1792 donc, je me refuse à abjurer ces moments historiques comme je me refuse à abjurer la stratégie de Lutte Armée pour le communiste, qui en est une expression particulière.
(
Georges Cipriani  MC Ensisheim, 49 rue de la 1ère armée 68 190 Ensisheim)


Jean-Marc dans une interview en 2005

C'est la question centrale (la question du repentir) depuis notre premier jour de prison. Et c'est le pourquoi de nos condi­tions de détention extraordi­naires, des restrictions actuelles sur le droit de communiquer ou de la censure des correspon­dances. Dans aucune des lois de l'application des peines, il n'est stipulé que le prisonnier doit ab­jurer ses opinions politiques. Mais pour nous, certains procu­reurs n'hésitent pas à affirmer que les revendications du com­munisme impliquent une récidive. Je sais bien que si nous nous repentions, nous serions soudai­nement adulés par la bonne so­ciété, mais ce n'est pas notre vi­sion de la responsabilité poli­tique. Notre engagement n'est pas à vendre ni à échanger contre un peu de liberté.
(Jean-Marc Rouillan 147575 Cd des baumettes, 230 Chemin de Morgiou Marseille Cedex 20

Joëlle à sa sortie le 16 juin 2004
Je suis fatiguée, aussi je dirai seulement trois choses :
La première est d'être bien sûr contente d'avoir la possibilité de me soigner.
La seconde est que l'application de la loi de mars 2002 reste cependant pour de nombreux prisonnières et prisonniers très en deça de son contenu même.
La troisième est ma conscience de ce que la libération de mes camarades est une bataille toujours en cours. Régis est incarcéré depuis plus de 20 ans, Georges, Nathalie et Jean-Marc, plus de 17. Je sors de prison mais je dois d'abord vaincre la maladie avant de pouvoir envisager une libération au sens propre. L'objectif reste ainsi celui de nos libérations.

Nathalie, en février 2007

Cependant, pour nous, militant-e-s emprisonné-e-s du fait du combat révolutionnaire mené par l’organisation communiste Action directe, nous sommes sûrs de notre route : celle des insoumis à l’ordre bourgeois. Tant que des femmes et des hommes porteront des idées communistes, les impérialistes au pouvoir frémiront jusqu’à ce que la peur les gèle dans leurs manoirs sécurisés à outrance.

4 septembre 2008 4 04 /09 /septembre /2008 21:08
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La lutte de la Fraction armée rouge a marqué profondément nombre de militants révolutionnaires à l'époque et jusqu'à aujourd'hui. En s'inscrivant dans la lutte aux côtés des combattants vietnamiens durant la guerre du Vietnam par des actions concrètes et non simplement symboliques, en s'attaquant à l'impérialisme américain, en démasquant la complicité de l'Etat ouest-allemand et le rôle de celui-ci dans la réorganisation capitaliste sous domination américaine de l'après-fascisme, elle a montré à beaucoup de militants que la lutte était nécessaire et qu'elle était possible.  La réponse de l'Etat allemand a été à la mesure de cet engagement. En particulier contre ceux qu'il détenait prisonniers. Aussi de nombreuses structures se sont créées ainsi le comité de soutien aux prisonniers de la RAF en France , le comité belge  ou le comité international animé en particulier par Klaus Croissant..

Pour ceux, pour lesquels c'est déjà de l'histoire mais qui veulent connaître cette histoire, pour ceux pour lesquels, ce sont des souvenirs de lutte mais qui n'ont plus de traces de ces luttes, linter se propose de reprendre des textes ou documents de l'époque et commence par ce texte de présentation de l'activité du comité de soutien aux prisonniers de la RAF. Actif de 1975 à 1980, il était hébergé aux Temps Modernes.


POURQUOI UN COMITE DE SOUTIEN AUX PRISONNIERS DE LA FRACTION ARMEE ROUGE (RAF)


Le pouvoir de la bourgeoisie a toujours essayé de diffamer par tous les moyens ceux qui le combattent réellement. A l'époque de la guerre de libération du peuple algérien contre le colonialisme français, il était question de bandes de terroristes, il en a été de même des" bandes viets".

Pourtant les terroristes étaient de l'autre côté, du côté de l'ordre, du côté des "pacificateurs" car afin de mieux opprimer, les Etats bourgeois n'hésitent pas à utiliser les armes les plus raffinées, à torturer, à détruire, à priver de liberté ceux qui n'en peuvent plus.

Les centrales de commandement de cette violence organisée se trouvent dans les métropoles occidentales. Leurs règnes se perpétueront tant que ceux qui usurpent la qualité de révolutionnaire se contenteront de croiser les bras. Djibouti est le produit de la passivité des gauchistes français, comme toute oppression. Le chauvinisme métropolitain nous amène à ne plus réagir devant les crimes commis au nom des Etats où nous vivons.

La Fraction armée rouge situe sa lutte dans le cadre de la lutte internationale des peuples contre l'impérialisme, à côté des Palestiniens, du MPLA, des Tupamaros, de l'IRA, de l'ETA, des Brigades rouges en Italie.

Cette lutte a pour but la fin du terrorisme. Elle n'est pas non plus le fait d'anarchistes comme l'écrit une certaine presse.

Le comité de soutien aux prsonniers de la Fraction Armée Rouge a été créé pour

1) Dénoncer les conditions de détention subies par les membres de groupes révolutionnaires pratiquant la guérilla urbaine dans les métropoles de l'impérialisme et que des organisations commes Amnystie International préfèrent ignorer.

2) Démasquer la conduite psychologique de la guerre menée par les Etats et les moyens de communication de masse contre les groupes révolutionnaires, par le mensonge, la provocation, comme les bombes placées dans les gares par les services secrets et attribuées à tort aux révolutionnaires.

3) Faire connaître la lutte, la théorie, les écrits de ces groupes révolutionnaires.

4) Mettre sur pied un centre de documentation sur la lutte de ces groupes révolutionnaires, les conditions de détention des prisonniers, les manoeuvres des Etats contee ceux-ci. Afin de mieux informer ceux qui se situent du côté du peuple : groupes révolutionnaires, presse parallèle etc et afin de pouvoir répondre aux manoeuvre d'une certaine presse.
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31 juillet 2008 4 31 /07 /juillet /2008 20:34
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Le texte publié hier pour Klaus Croissant reste l'un des plus forts de Jean-Jacques de Felice.
Pour rester en mémoire avec lui et de loin, en ce jour où il est inhumé un autre texte, récent, lui, où il décrit son mai 68 et qui montre pour les camarades d'aujourd'hui, la continuité de sa pensée et de sa vie.
A ses proches, nos pensées. linter

Rien de très nouveau pour moi, en vérité… Tout ce que j’ai connu auparavant – puisqu’en 1968 je suis avocat depuis plus de quinze ans –, je le retrouve, en accéléré, avec les « événements » de Mai. Marqué dans ma jeunesse par la résistance, heureux d’avoir assisté à la défaite des fascismes, j’espère, dans mes premières années de défense, en une société libérée, en particulier par le Droit, d’abord pour l’enfance délinquante, puis pour tous les autres. Mes premières confrontations avec les juridictions de droit commun, puis avec les tribunaux militaires, me feront perdre rapidement bien des illusions. En visite quasi quotidienne en prison, je découvre l’injustice, la violence du système pénitentiaire ; je ressens profondément que l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme, déclaration proclamée quelques années auparavant et affirmant le respect de la dignité de l’homme comme valeur essentielle, est constamment violé. Je rencontre heureusement, et cela me réconforte et m’encourage, des femmes et des hommes admirables (visiteurs aumôniers, éducateurs, défenseurs, etc.) qui agissent utilement. Je partage des défenses difficiles avec ceux qui ont été pour moi des modèles et des exemples : Pierre Stibbe, Yves Dechezelles, etc. Avec notre petite cohorte d’avocats, née et soudée pendant la guerre d’Algérie, nous sommes, en Mai 68, tous les jours mobilisés, au palais de Justice ou dans les facultés. […] Henri Leclerc défendra Alain Geismar ; Yves, Alain Krivine ; je défendrai Gilles Guiot : les militants nous font confiance, et, quelle que soit leur appartenance politique, nous les défendrons devant les tribunaux, souvent contre l’arbitraire de poursuites engagées pour l’exemple. De nombreux étrangers, menacés d’expulsion, nous demandent de les assister : un jour, c’est un certain Dany Cohn-Bendit ; un autre, tel ou tel travailleur ou étudiant étranger. Nous prenons en ce domaine de l’expérience, nous en aurons besoin, et ce jusqu’à aujourd’hui.

Politiquement, je comprends les colères, les révoltes sociales contre l’injustice, comme je me sens solidaire des « colonisés » et des peuples opprimés du tiers-monde. Avec d’autres, j’ai défendu, pendant la guerre d’Algérie, des centaines de militants et de responsables nationalistes, détenus dans nos prisons et nos camps d’internement, puis des déserteurs américains de la guerre du Vietnam, des « indépendantistes » guadeloupéens, martiniquais, québécois, etc. […] En août 1967, j’avais été envoyé par la FIDH en Amérique du Sud, dans la jungle bolivienne, à Camiri, pour tenter de secourir un ami du Che, Régis Debray, victime de sévices et détenu dans les pires conditions. J’étais alors accompagné par un magistrat italien et un avocat belge – nous étions déjà en pleine mondialisation, en particulier dans l’application nécessaire du droit. Depuis dix ans, en France, à cette époque, nous vivons une situation sociale et politique bloquée, conservatrice, injuste pour les plus faibles : nous ne cessons de protester avec des amis incomparables, comme Claude Bourdet, Jean Rostand, Théodore Monod, l’abbé Pierre, etc., contre la folie criminelle de l’armement atomique, l’Apartheid en Afrique du Sud, les répressions que subissent, en France, tant de jeunes de 20 ans, objecteurs, insoumis ou déserteurs. En Mai 1968, nous rejoignons évidemment les lieux essentiels de discussions, d’échange d’idées, les rues du Quartier latin, le Sorbonne, l’Odéon : là où « la parole se libère » […]. Tous les jours, nous sommes mobilisés pour des audiences correctionnelles de flagrants délits, nous nous mettons à la disposition de ceux qui sont menacés, et en même temps, à la Sorbonne par exemple, avec mes amis de la LDH, avec Madeleine Rebérioux, Pierre Vidal-Naquet, nous tentons d’apaiser les exaltations de certains. Je me souviens en particulier de rencontres assez tendues avec de jeunes paumés qui occupaient les combles de la Sorbonne (on les appelait les Katangais) et menaçaient de mettre le feu à l’université, ce qui ne nous paraissait pas un acte porteur d’avenir… Je voyais aussi avec une certaine inquiétude se déchirer toute une série de groupes plutôt sectaires, obéissant à des idéologies en forme de révérences quasi religieuses pour des idoles devant lesquelles je n’avais pas du tout l’intention de me prosterner (Staline, Mao, Lénine, Trotski, etc.). Le plus intéressant était la discussion avec des gens de tous milieux et de toutes origines qui, pour la première fois peut-être, prenaient publiquement la parole pour dire leurs préoccupations et leurs espérances. Lors des grands défilés, nous allions, non pas en robe mais comme avocats reconnus, participer aux manifestations essentielles : les slogans « Nous sommes tous des juifs allemands » ou « Le pouvoir abuse, le pouvoir absolu abuse absolument » nous convenaient alors parfaitement !

Les bruits les plus extravagants circulaient : on nous annonçait la mort par noyade de plusieurs étudiants qui auraient été jetés par la police dans la Seine, et nous nous souvenions du 17 octobre 1961. Je me vois encore, dans une voiture avec le journaliste Jean-Pierre Elkabbach et un cameraman, rechercher en vain des corps, du côté de Poissy et de Mantes. Les problèmes de l’incarcération se posaient à nouveau à nous : les « politiques » emprisonnés faisaient alors connaissance avec les conditions détestables de détention des prisonniers à l’époque dits « de droit commun », nous avions avec eux de nombreux échanges sur ces problèmes et faisions en sorte que le sort des uns et des autres soit amélioré. Mai 68 aura aussi laissé, jusqu’à aujourd’hui, des traces « juridiques » fondamentales : au sein du palais de Justice, nous constituerons le Mouvement d’action judiciaire (MAJ) et le Syndicat de la magistrature (SM) À l’extérieur, avec des amis comme Michel Foucault, Jean-Marie Domenach, Louis Casamayor et beaucoup d’autres, nous créerons le GIP (Groupe d’information sur les prisons), le GIA (Groupe information asiles), le Gisti (Groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés), etc.

Je reste encore étonné par l’impact de Mai 68. En défendant, en septembre 1969, à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, à 20 000 km de Paris, des étudiants kanaks emprisonnés (qui deviendront plus tard responsables du mouvement indépendantiste), j’ai appris que certains d’entre eux, à Paris, en Mai 1968, avaient participé au mouvement et s’étaient sentis alors mobilisés pour agir avec leur peuple et aller, s’ils le pouvaient, vers l’indépendance. Après 1968, nos combats se prolongeront pour l’abolition de la peine de mort, l’abolition de la Cour de sûreté et des tribunaux militaires, la conquête de nouveaux droits, comme le droit au logement, mais ceci est une autre histoire, qui continue… Jean-Jacques De Felice, Paris  Courrier de Politis 1003 - 22 mai 68

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16 juillet 2008 3 16 /07 /juillet /2008 20:36
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Petit rappel utile à propos du site du Tricastin.

Eurodifest un consortium implanté au sein du site nucléaire du Tricastin à Pierrelatte.

Celui-ci a été fondé en 1973 par Georges Besse.

Inauguré en 1979, le site est exploité par une filiale d'Areva et comprend de nombreuses installations nucléaires dont la centrale EDF et l'usine d'enrichissement de l'uranium, Eurodif

Centrale nucléaire de Tricastin.(Photo : AFP)
Et pour rendre hommage au fondateur, la prochaine usine à mettre en service en 2012 s'appellera bien sûr Georges Besse 2. (lire)
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13 juillet 2008 7 13 /07 /juillet /2008 21:04
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Cette lettre écrite au lendemain de la révolution de 1905 montre combien Rosa Luxemburg a pu souvent se trouver isolée dans sa réflexion politique, contre le réformisme et l'opportunisme de mise hier (comme aujourd'hui?) et son action révolutionnaire.


Chère Clara,

Je viens de lire ta dernière lettre à Kostia et j’ai un impérieux besoin de t’écrire. L’appel du Comité directeur m’a fait le même effet qu’à toi - c’est tout dire. Depuis mon retour de Russie, je me sens assez seule dans ce contexte. J’ai conscience, plus brutalement et plus douloureusement que jamais auparavant, de la pusillanimité et de la mesquinerie qui règnent dans notre parti, mais je ne me mets pas en colère comme tu le fais à ce sujet, parce que j’ai déjà compris - c’est d’une clarté effrayante - que ces choses et ces gens ne pourront changer, tant que la situation n’aura pas changé du tout au tout. Et même alors - je me le suis déjà dit en y réfléchissant froidement, et c’est une chose, pour moi, entendue - il nous faut compter avec la résistance inévitable de ces gens-là, quand nous voudrons faire avancer les masses. La situation est simple : August [Bebel] et tous les autres bien plus encore se sont dépensés sans compter pour le parlementarisme et s’y sont donnés tout entiers. Si les événements prennent une tournure qui déborde les limites du parlementarisme, ils ne seront plus bons à rien ; qui plus est, ils chercheront à tout ramener à l’aune parlementaire, traiteront donc d’« ennemi du peuple » et combattront avec rage tout mouvement et tout homme qui voudra aller plus loin. Les masses, et plus encore la grande masse des camarades, en ont assez, au fond d’eux-mêmes, du parlementarisme ; j’en ai le sentiment. Un courant d’air frais dans notre tactique leur arracherait des cris de joie : mais ils subissent encore le poids des vieilles autorités et plus encore celui de la couche supérieure des rédacteurs en chef, des députés et des leaders syndicaux opportunistes. Notre tâche à nous, actuellement, consiste simplement à agir contre l’encroûtement de ces autorités en protestant aussi vigoureusement que possible : et dans cette action, selon la situation, nous aurons contre nous, non pas tant les opportunistes que le Comité directeur et August. Aussi longtemps qu’il s’agissait de se défendre contre Bernstein et Cie, August et Cie acceptaient avec plaisir notre compagnie et notre aide - d’autant que tout au début, ils ont fait dans leur culotte. Si on en vient à une offensive contre l’opportunisme, alors les vétérans seront avec Ede [Bernstein], Vollmar et David, contre nous. C’est comme ça que je vois la situation et voilà l’essentiel : retrouve ta santé et ne te mets pas en colère ! Ce sont là des tâches qui se calculent sur de longues années. Porte-toi bien, je t’embrasse chaleureusement [3].

(Sur le site Smolny)
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13 juillet 2008 7 13 /07 /juillet /2008 20:11

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Le blog avait reproduit le texte sur Longwy de Gérard Noiriel. Il y  en a très peu de disponibles et il est essentiel que passe la mémoire de cette restructuration. Car elle marque fortement le début de ce processus que l'on appelle mondialisation et qui n'est qu'une étape du processus capitaliste, qu'un temps on a nommé impérialisme liant ainsi la compréhension du processus économique d'accumulation et son expression politique.

Ici, un autre texte de Noiriel, qui peut être l'objet de réflexions multiples sur l'histoire du mouvement ouvrier. (http://barthes.ens.fr/clio/revues/AHI/articles/volumes/agreg.html)


Gérard NOIRIEL, 1997

1. Introduction

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais rappeler à partir de quelles préoccupations j'ai entrepris mes travaux sur l'histoire du monde ouvrier français. Toute recherche, en effet, est conditionnée par le point de vue et les hypothèses adoptés au départ. Un historien qui privilégie l'analyse microhistorique en examinant les relations que les ouvriers ont nouées entre eux au niveau de leur atelier ou de leur quartier ne produira pas le même type de connaissances que celui qui inscrit sa recherche dans la "longue durée" et dans un cadre national. Les deux types d'approches sont parfaitement légitimes, mais il convient de les distinguer pour éviter d'alimenter des polémiques sans intérêt sur les mérites respectifs des approches "micro" et "macro". C'est pourquoi j'ai tenu, dans l'introduction de cet exposé, à évoquer rapidement la problématique qui a toujours sous-tendu mes recherches sur l'histoire ouvrière française. Le point de départ était tributaire du contexte à la fois intellectuel et politique de la fin des années 1970. Au niveau des questionnements, comme au niveau des méthodes, l'histoire ouvrière était alors dominée par les élèves d'Ernest Labrousse (directs ou indirects), comme Yves Lequin, Michelle Perrot, Madeleine Rebérioux, Rolande Trempé...L'objectif était d'appréhender l'histoire ouvrière comme un "fait social total" en combinant des approches quantitatives (fondées sur l'exploitation des statistiques fournies par les recensements, les registres du personnel...) et qualitatives (histoires de vie...); l'histoire des techniques et l'anthropologie historique, voire la sociologie de "terrain". Néanmoins, cette perspective ne permettait pas de résoudre tous les problèmes que je rencontrais dans ma thèse. Ayant choisi d'étudier l'histoire des "hommes du fer" dans la région de Longwy, à un moment où éclatait les grandes grèves de 1979-80 contre les fermetures d'usines, mon souci était de montrer que l'histoire du monde du travail pouvait contribuer à expliquer pourquoi les sidérurgistes faisaient preuve d'un tel acharnement pour empêcher le processus de restructuration industrielle dans lequel la France toute entière était alors engagée. Le caractère le plus frappant de ce mouvement social était que les ouvriers du fer, issus dans leur majorité de l'immigration, se mobilisaient en faisant appel à des "traditions" et à des symboles qui n'appartenaient pas à leur histoire personnelle ou familiale, mais qui reprenaient pour l'essentiel les thèmes folkloriques sur la Lorraine rurale qui avaient été élaborés à la fin du 19ème siècle par la droite nationaliste contre les "étrangers". J'ai essayé d'expliquer, dans l'ouvrage tiré de ma thèse sur le bassin de Longwy, les raisons historiques qui pouvaient expliquer ce paradoxe. J'ai emprunté la même démarche régressive dans ma synthèse sur l'histoire des ouvriers en France, publiée en l986. En partant du constat que les ouvriers britanniques ou allemands réagissaient de façon très différente à la crise profonde qui a bouleversé le monde industriel dans les années 1980, je voulais comprendre en quoi ces contrastes pouvaient s'expliquer par la spécificité des histoires ouvrières nationales. Par rapport aux autres grands pays industrialisés, la classe ouvrière française s'est illustré par la faiblesse de ses organisations syndicales. Ses capacités de mobilisation ont toujours été incomparablement plus faibles qu'en Grande-Bretagne, comme le montrent les différences dans le nombre et l'ampleur des grèves. En Allemagne, aujourd'hui encore, les organisations ouvrières ont la possibilité d'intervenir réellement sur le processus de production, dès le niveau de l'atelier, alors que les rapports sociaux dans l'entreprise restent marqués, en France, par une conception très hiérarchisée. L'essentiel se traite au sommet, au niveau de l'élite technicienne; la majorité des ouvriers étant réduits au rôle d'exécutants. Plus généralement, un simple regard comparatif montre que l'impact de la culture ouvrière dans l'ensemble de la société, son rayonnement au-delà des frontières de classe, est beaucoup plus réduit en France (par exemple le football est un sport beaucoup plus lié au monde ouvrier en Grande-Bretagne qu'en France). Ces réflexions m'ont amené à envisager l'histoire du monde ouvrier comme une composante essentielle de son identité collective et à développer l'hypothèse que plus les traditions du groupe ont été préservées, plus cette identité collective est forte (et plus, par conséquent, les capacités de résistance au changement sont importantes). Mais les sociologues ont montré que les traditions d'un groupe social peuvent se transmettre de deux façons :  par la voie "généalogique" (transmission directe d'une mémoire collective et d'une culture spécifique d'une génération à l'autre) et par la voie "institutionnelle" (quand des éléments importants de l'histoire et la culture de classe sont fixés par écrit ou dans des formes matérielles :  aménagement de l'espace, organisations, dispositions juridiques, ...). Ce qui m'a conduit à l'hypothèse qu'une "culture ouvrière" a d'autant plus de chances d'être solide et durable que se conjuguent en elle les deux principes qui définissent toute tradition sociale :  le principe "généalogique" et le principe "institutionnel". Le cas anglais est sans doute le meilleur exemple d'une tradition forte. D'abord, la construction ("making") de la classe ouvrière est consécutive à une très forte rupture sociale. La prolétarisation massive de millions de paysans est l'élément fondamental qui explique l'autonomisation progressive, au sein des classes populaires, d'un groupe ouvrier relativement homogène. Rupture que l'on constate non seulement dans le changement de la nature et du lieu de travail (terre/usine), mais aussi dans l'adoption des modes de vie urbains et salariés qui découlent de l'exode rural. Cette radicalité de la prolétarisation (que l'on retrouve un demi-siècle plus tard en Allemagne), favorise l'institutionnalisation des pratiques de classe, marquée notamment par la naissance d'un mouvement ouvrier suffisamment puissant et enraciné dans le monde du travail pour atténuer ou même "digérer" les bouleversements de la composition "technique" et sociale de la classe (rationalisation du travail, mobilité professionnelle). Par ailleurs, la force des frontières du groupe (consécutive à la fois à la brutalité de sa formation et à son poids décisif dans la population active) tend à limiter l'interpénétration entre les classes. D'où l'importance de la reproduction généalogique du statut ouvrier sur plusieurs générations qui contribue à maintenir vivante les traditions et l'identité collectives. L'étude du cas français m'a amené à conclure que cette formation de classe à l'anglaise n'avait pas été possible; du fait même que la révolution industrielle n'avait jamais occasionné des ruptures sociales aussi radicales qu'en Grande-Bretagne ou en Allemagne. Le rapport des forces issu de la Révolution française a eu pour effet d'atténuer ces ruptures. C'est pourquoi, le monde ouvrier français a toujours étét beaucoup plus hétérogène et instable que ses voisins, ce qui n'a pu qu'affaiblir l'identité collective du groupe. C'est ce qui explique, en dernière analyse, le paradoxe d'un pays où la classe ouvrière a joué un grand rôle politique, alors que socialement elle a été marginalisée.

Si j'ai tenu à rappeler les grandes lignes de la problématique que j'ai développée dans mes travaux, c'est parce qu'elle met en relief les liens étroits qui existent selon moi, partout en Europe, entre d'une part les rythmes et les formes prises par l'industrialisation et, d'autre part, les caractéristiques que présentent les principaux groupes sociaux. C'est ce que je voudrais essayer de montrer dans la suite de ce texte

2. L'hétérogénéité du monde ouvrier jusque dans les années l880

Pour comprendre les particularités françaises de la deuxième industrialisation, il faut absolument avoir présente à l'esprit la façon dont les chefs d'entreprise ont essayer de résoudre les problèmes de main d'oeuvre qu'ils ont rencontré tout au long du XIXe siècle. Jusque dans les années 1880, le monde ouvrier est extrêmement hétérogène. On peut néanmoins distinguer deux pôles, tous deux hérités de l'Ancien Régime :  les ouvriers de l'artisanat, que l'on rencontre surtout dans les villes, et les ouvriers de la grande industrie, qu'on trouve principalement dans les zones rurales, en majorité des ouvriers-paysans qui ont profité de la diffusion du travail textile et métallurgique dans les campagnes. Cette situation perdure jusqu'à la fin du Second Empire car l'agriculture et l'artisanat sont toujours les deux principaux moteurs de l'économie française. Les activités industrielles nouvelles (liées à la première industrialisation, fondée surtout sur le textile) ont un rôle secondaire et surtout, elles se développent majoritairement dans les campagnes. C'est ce qui explique la faiblesse de l'exode rural en France et le paradoxe du Second Empire où l'activité industrielle progresse fortement, sans que le nombre des ouvriers augmente. En l880, la moitié des actifs travaillent encore dans l'agricuture (ils ne sont plus que 25% dans ce cas en l840 en Grande-Bretagne, proportion que la France n'atteindra qu'en l950). Parler alors de la classe ouvrière n'a guère de sens et les observateurs les plus avertis, comme Frédérique Le Play, emploient toujours le pluriel. Les gens de métier, forment l'élite ouvrière. Ils sont enracinés dans leurs quartiers, souvent depuis plusieurs générations, fréquentent les milieux intellectuels militants, ont conservé la mémoire des luttes révolutionnaires passées. Ils entretiennent des liens étroits avec le monde de la boutique et du petit patronat (auquel ils accèdent fréquemment, avant de retomber, en bien des cas, dans le salariat). Les campagnes sont peuplées d'une multitude de petits propriétaires qui s'accrochent à leur lopin; tentent de l'arrondir en profitant de la vente des Biens Nationaux. C'est vers eux essentiellement que se tourne la grande industrie mécanisée. D'une part parce que le rapport de force entre classes issu de la Révolution ne permet pas aux patrons d'obtenir un déracinement massif du prolétariat paysan vers les villes. D'autre part parce que le système des valeurs qui domine encore la société française n'est pas celui du capitalisme. Les grosses fortunes s'orientent volontiers vers l'achat de biens fonciers, mais relativement peu vers l'industrie. Ceci laisse le champ libre à la petite bourgeoisie d'affaire qui trouve dans l'industrie rurale un moyen de limiter les dépenses en "capital fixe" et en salaires (le cas le plus flagrant étant le travail à domicile extrêment répandu en ce qui concerne le textile et la petite métallurgie). Par ailleurs, la répétition des journées révolutionnaires à Paris (ou à Lyon) amène la classe dirigeante à encourager des formules qui maintiennent les paysans à la campagne. De même, depuis les grandes enquêtes de la Monarchie de Juillet, le paupérisme est considéré comme le facteur essentiel des révolutions. D'où l'encouragement des formes diverses de pluri-activité qui caractérisent les classes populaires de cette époque (à la ville comme à la campagne). Même des saint simoniens comme Emile Martin, directeur des forges de Fourchambault (parmi les plus modernes de France au milieu du 19ème siècle), théorisent la pluri-activité comme forme originale de mode de production industriel. La petite propriété terrienne, doit permettre à l'ouvrier de se stabiliser; donner du travail à la femme, aux enfants, aux vieux et à l'ouvrier lui-même pendant les périodes de chômage. Pour la majorité des petits paysans la présence d'une "fabrique" dans la région est une aubaine. Elle fournira le numéraire dont le paysan a besoin pour acheter un lopin supplémentaire, pour rembourser des dettes... Pendant la morte saison d'hiver, elle permet de ne pas rester sans ressources. Le travail à domicile, distribué dans les campagnes par les marchands-fabricants, fournit les mêmes "avantages". Quant aux paysans qui ne trouvent pas ces compléments d'activité sur place, ils vont les chercher au loin, dans le cadre des migration saisonnières ou temporaires, si nombreuses dans la France du temps et qui constituent comme le trait d'union entre le monde urbain et le monde rural. Ce système industriel atteint son apogée sous le Second Empire. Il explique, à mon sens, le relatif consensus politique dont bénéficie Napoléon III jusque dans les années l860 et la faiblesse du mouvement ouvrier français. Que ce soit au Creusot, à Valentigney (chez Peugeot) ou ailleurs, l'immense majorité des ouvriers d'industrie, ne se reconnait pas dans les luttes développées par les ouvriers de l'artisanat urbaine. Culturellement et politiquement, ils continuent à se conduite comme des paysans. L'atonie du développement urbain et des échanges monétaires, autre conséquence très importante du faible exode rural, empêche l'éclosion des espaces propres au prolétariat industriel, limite les contacts entre l'élite des métiers et les travailleurs de l'industrie. La pluri-activité multiplie le nombre des individus qui eux-mêmes ne sont fixés ni dans le salariat, ni dans la classe ouvrière.

3. Le processus d'ouvriérisation entre 1880 et 1930 et les nouveaux clivages du monde du travail

On pourra opposer à ces remarques que l'Angleterre est un cas unique par la précocité de son industrialisation. En Allemagne, les mutations décisives du capitalisme ne se produisent qu'à la fin du 19ème siècle. Mais la comparaison France/Allemagne confirme l'hypothèse de l'impossible prolétarisation massive dans le cas français. Dans les années l880, l'économie européenne est frappée de plein fouet par la Grande Dépression, qui remet en cause tout le système de pluri-activité décrit plus haut. L'unification du marché national (suite à l'achèvement du réseau ferré) et l'afflux des marchandises fabriquées dans des pays où les règles de la production capitalistes sont déjà largement appliquées (traités de libre-échange de l860) sont des facteurs essentiels d'une crise qui touche d'abord les paysans. Leurs revenus diminuent dans des proportions dramatiques suite à la baisse des prix des céréales, aux catastrophes naturelles (phylloxéra) et à la faillite de l'industrie rurale (forges, textile à domicile) qui prive les paysans pauvres des ressources complémentaires indispensables. Les conditions économiques semblent ainsi remplies pour que se produise la rupture qui permettrait la construction d'une classe ouvrière homogène. D'autant plus que dès les années l890, la France connait une nouvelle phase de développement économique intense (début de la "deuxième industrialisation"), fondé sur la métallurgie et les constructions mécaniques, qui entraine un appel de main d'oeuvre considérable. De fait, l'on observe une intensification de l'exode rural, puisque la population urbaine passe de 30,5% à 42,1% entre l866 et 1906 et qu'environ 500 000 ouvriers agricoles quittent la campagne. Et pourtant, la lecture des statistiques fournies par les recensements montre que dans les dernières décennies du 19ème siècle, le nombre des ouvriers d'industrie stagne. Mieux! Dans la même période, la totalité de l'exode rural est absorbé par le seul secteur des "services" dont les effectifs double en vingt ans. Les effectifs des professions libérales, du commerce, les "travailleurs isolés" augmentent d'un tiers. Et au même moment, le Comité Central des Houillères se lamente car il manque 15 000 mineurs, 10% de la main d'oeuvre totale dans les mines, pour satisfaire les commandes. Le développement industriel français reste profondément marqué par les conditions dans lesquelles s'est déroulée la première industrialisation. L'implantation en zône rurale d'un grand nombre d'entreprises a empêché la formation d'une main d'oeuvre qualifiée et même d'un prolétariat n'ayant que sa force de travail à vendre. A la fin du 19ème siècle, la croissance des emplois dans l'industrie coincide avec l'extension du secteur des "services", consécutif au progrès scientifique (médecins), à l'élévation du niveau de vie (commerçants) et à l'émergence de l'Etat-Providence (fonctionnaires). Le malthusianisme démographique, le maintien d'une population paysanne pléthorique aggrave le déficit en main d'oeuvre et favorise l'instabilité ouvrière. Ainsi, dans les années qui précèdent la Première guerre, dans le Valenciennois, la moitié des mineurs changent de profession. A l'usine métallurgique de Decazeville, 65% des ouvriers quittent leur emploi l'année de leur embauche. Le patronat et la classe dirigeante se heurtent à un autre obstacle pour alimenter le marché du travail ouvrier :  les traditions démocratiques sur lesquelles la IIIe République naissante a fondé sa légitimité. Les solutions autoritaires à la Bismarck sont exclues dans le cas français. Et le fait que le suffrage universel ait précédé les grandes mutations capitalistes donne au groupe d'électeurs le plus nombreux, la petite paysannerie, une arme très efficace pour freiner les évolutions en cours (cf. les lois protectionnistes de Méline à la fin du siècle).

Pourtant, les bouleversements économiques apparus vers l900 s'accélèrent encore dans les décennies suivantes, surtout après la guerre. En l930, on peut estimer que la France a enfin accompli sa mutation industrielle. Pour la première fois, la population urbaine dépasse la population rurale. Plus de 50% des salariés travaillent dans des établissements de plus de 200 personnes et un quart dans des établissements de plus de 500. En une trentaine d'années, 40% des travailleurs "isolés" (petits artisans...) ont disparu. De plus, cette période voit le triomphe des grandes usines, notamment dans la sidérurgie, l'industrie chimique, la construction automobile...Dans le même temps, les exigences nouvelles de rentabilité imposent une rupture de l'entreprise avec son environnement rural, alors que jusqu'ici ces deux univers avaient toujours été complémentaires. Cette rupture se concrétise par la construction de hauts murs d'enceinte qui matérialisent l'espace usinier, par des mesures répressives fixées dans les règlements d'atelier pour empêcher l'absentéisme (notamment à l'époque des moissons...). La clôture de l'espace de travail s'accompagne des premières tentatives patronales pour élaborer des projets de "carrières ouvrières", fondées sur la pyramide hiérarchique, afin que les salariés s'identifient à l'entreprise, y investissent toute leur énergie. Si le clivage central de l'époque précédente ouvrier urbain/ouvrier rural s'atténue fortement, d'autres formes d'hétérogénéité apparaissent qui correspondent aux diverses solutions que le patronat français a imaginé pour résoudre son lancinant problème de main d'oeuvre. Au cours de cette période se constituent plusieurs marchés du travail ouvrier fortement cloisonnés et n'ayant guère de rapports entre eux. L'ancien secteur des métiers urbains se maintient, même s'il est marginalisé et replié sur lui-même. De même, le monde textile, né dans les décennies précédentes, tend à se stabiliser et à prendre la physionomie qu'il conservera jusque dans les années l950 (petites usines de 200 à 300 ouvriers, patronat "paternaliste", fréquence des implantations en zônes rurales...). La deuxième industrialisation provoque une importante expansion des "services" (notamment des transports) où l'on rencontre un monde ouvrier relativement protégé car bénéficiant des garanties de l'Etat (notamment en matière d'emploi). Deux branches industrielles profitent surtout de cette expansion économique :  Au bas de l'échelle, cumulant l'éloignement des centres urbains et les métiers les plus durs, on trouve les zônes d'industrie lourde qui sont le lieu d'un formidable renouvellement de population (accentué par la guerre) lié à l'immigration de masse. A l'autre bout de la chaine, la construction mécanique et électrique qui emploie encore à cette époque beaucoup d'ouvriers qualifiés et qui attire nombre de fils de mineurs de Denain ou d'ouvriers du Creusot passés par les centres d'apprentissage.

Chacun de ces grands marchés du travail ouvrier a sa propre histoire, ses caractéristiques professionnelles et régionales qui rendent particulièrement difficiles les tentatives d'unification sous une même bannière de classe. Néanmoins, c'est au tournant du siècle que se situe la véritable émergence du mouvement ouvrier moderne. Comme l'a montré Michelle Perrot dans sa thèse, le double processus démocratique qui s'épanouit alors :  débats parlementaires où s'illustrent les porte parole parlant au nom de l'ouvrier et explosion de la presse populaire de masse qui diffuse dans toute la France l'image du "prolétaire" - jouent un rôle essentiel dans la construction sociale du groupe ouvrier. Ce phénomène est fortement accentué par la multitude des grandes grèves durables (parfois pendant un an) et violentes (l'intervention de la troupe n'est pas rare) qui secouent la vie politique et qui, relayés par la grande presse, imposent dans l'opinion l'image des nouvelles figures ouvrières comme celle des mineurs. Désormais ce n'est plus le monde des métiers qui constitue l'élément moteur des luttes sociales, mais la grande industrie (elle fournit à elle seule 35% de l'ensemble des grévistes à la fin du siècle). Ces conflits trouvent maintenant un écho considérable au Parlement grâce à la naissance du parti socialiste qui s'implante durablement dans un grand nombre de municipalités ouvrières, notamment dans le Nord. La logique même du jeu politique veut que ceux qui souhaitent capter les suffrages ouvriers parlent au nom de l'ensemble de la classe et s'efforcent de gommer les différences entre les catégories. Ce travail d'homogénéisation est renforcé par la nécessité dans laquelle se trouvent les "élus du peuple" d'obtenir des améliorations tangibles de la "condition ouvrière" pour justifer leur fonction d'élu. D'où l'important développement de la législation sociale qui s'accompagne d'un premier grand travail de codification des rapports sociaux. L'activité juridique de la fin du 19ème siècle contribue à "découper" dans la "réalités sociales" des ensembles jusque là peu différenciés. C'est à ce moment-là qu'est réellement définie l'activité salariée (par opposition au "chômage"). Cette frontière est accentuée par les lois sociales; comme la Retraite Ouvrière et Paysanne de l910 qui instaure des régimes juridiques différents entre salariés et "indépendants". Comme le dit un député opposé à cette loi à la Chambre, ces mesures contribuent puissamment à la "construction" de classes sociales immuables. Tout ceci aboutit à une spectaculaire différenciation, au sein des classes populaires, entre le monde de la boutique et de l'artisanat et le monde ouvrier. Jusqu'à la Commune, ces deux groupes étaient encore très liés entre eux; mais leurs divergences s'accroissent de plus en plus à la fin du 19ème siècle (le monde des petits producteurs indépendants évoluant vers les partis de droite, voire d'extrême droite). Si bien qu'on peut penser que la constitution du mouvement ouvrier à la fin du 19ème siècle se fait, non pas dans le prolongement de la mobilisation artisanale développée sous la Monarchie de Juillet, mais contre les formes d'organisation, les signes identitaires et les valeurs que ceux-ci avaient élaborés dans les décennies antérieures. Les multiples péripéties qui agitent le mouvement ouvrier français avant 1914, notamment l'opposition entre les partisans des syndicats de métier et ceux d'un syndicat de branche industrielle, illustrent l'affrontement entre ces deux définitions contradictoires de la classe ouvrière. Si la victoire des partisans du syndicalisme "moderne" est acquise dès les années qui précèdent la guerre de l4, la puissance du mouvement ouvrier français est incomparablement moins grande qu'en Grande Bretagne ou en Allemagne.

Les mêmes facteurs qui expliquent cette faiblesse institutionnelle - prolétarisation limitée, hétérogénéité et instabilité du monde ouvrier - doivent être mentionnés en ce qui concerne l'autre véhicule des traditions ouvrières :  la reproduction généalogique. Etant donné la situation du marché du travail, beaucoup d'ouvriers voient s'ouvrir de nombreuses possibilités d'ascension sociale (de type père mineur dans le Nord, fils ajusteur chez Renault, ou père ouvrier, fils gendarme; père ouvrier-artisan dans les métiers parisiens, fils petit patron d'une entreprise travaillant comme sous-traitant pour l'automobile...). L'ampleur des destructions des sites industriels dans le Nord et l'Est, la disparition d'environ 10% de la main d'oeuvre pendant la guerre, l'exode massif vers la région parisienne, achèvent de briser dans les anciens foyers industriels les canaux généalogiques de la transmision de la culture de classe.

4. L'unification communiste

La période 1914-l936 doit être vue comme une nouvelle phase de rupture considérable des traditions propres au monde ouvrier français. Les grandes corporations militantes, appartenant à la grande industrie, qui étaient péniblement parvenues à marginaliser les "gens de métier" dans les organisations et les représentations collectives de la classe à la fin du 19ème siècle, sont très affaiblies à partir de 1914. Les pertes matérielles et humaines dues à la guerre, l'extraordinaire renouvellement du monde ouvrier de l'industrie lourde dans les années vingt, provoquent un affaiblissement considérable du mouvement ouvrier. C'est pourquoi, dans les années vingt, la base ouvrière de la CGT et de la SFIO, tend de plus en plus à se limiter au secteur "protégé" du monde du travail, que les statistiques du temps appellent les ouvriers des "services" (essentiellement les transports). Avec la crise des années l930, les ouvriers des nouveaux bassins industriels (les banlieues et les cités pour faire vite) commencent à leur tour à s'enraciner. Le retournement de la conjoncture économique stimule leur combativité. Mais ils ne se reconnaissent pas dans le mouvement ouvrier "réformiste". C'est dans ces lieux neufs et tout particulièrement dans les grandes usines métallurgiques de banlieue qu'émerge une nouvelle génération de militants qui trouvent dans le parti communiste l'instrument grâce auquel, en l936, il vont étendre leur hégémonie sur l'ensemble du mouvement ouvrier. Entre le Front Populaire et la Guerre froide sont construits tous les signes essentiels de la nouvelle identité ouvrière :  constituée autour de l'image du "métallo" parisien (cf. Gabin au cinéma), elle intègre les valeurs du courage, du refus de la compromission, une vision simple de l'ennemi, une croyance (fondée sur l'expérience de l936) qu'on peut tout obtenir des patrons par la lutte collective, une survalorisation du combat politique au détriment des luttes d'atelier; ce qui laisse une place essentielle aux porte-parole, aux appareils et à la délégation de pouvoir. Cette vision du monde devient d'autant plus générale, qu'elle est colportée par les intellectuels (ceux qui ne voulaient pas "désespérer Billancourt") et surtout en partie institutionnalisée au moment où des représentants de ce groupe ouvrier hégémonique accèdent au pouvoir d'Etat. Le communiste Ambroise Croizat, ministre du travail à la Libération, joue comme on sait un grand rôle dans l'élaboration des conventions collectives qui sont la source des nomenclatures professionnelles mises en place alors par l'INSEE. Or désormais, l'enregistrement statistique a une importance décisive. Jusque là en effet, on peut considérer que les statistiques professionnelles produites par les services de la Statistique Générale de la France constituaient un regard "externe" sur le monde du travail, qui l'affectait relativement peu. Désormais, au contraire, la définition statistique, du fait même qu'elle structure des groupes ou des sous-groupes d'"ayants droit", des privilèges et des honneurs sociaux, affecte l'identité ouvrière de l'intérieur; ce qui accentue les effets de mobilisation de l'ensemble de la classe autour de ses figures de prou. C'est sans doute au cours des deux décennies qui ont suivi la deuxième guerre mondiale que l'homogénéité du groupe ouvrier, sous l'influence dirigeante du PCF, a été la plus importante en France. Néanmoins, la faiblesse native du mouvement ouvrier français comparé à ses homologues européens demeure. D'une part, les divisions entre communistes et socialistes sont la trace du décalage chronologique et des contrastes régionaux qu'a connus le processus d'institutionnalisation du monde du travail. D'autre part, l'hégémonie du PCF à partir de l936 marque le triomphe définitif d'une homogénéisation de classe faite "par en haut", c'est à dire consécutive à des événements politiques (Front Populaire, Résistance, Guerre froide). Mais ce type d'unification symbolique ou fondé sur la participation à des événements exceptionnels reste finalement assez extérieur à la culture de classe de la majorité des ouvriers. La faible ancienneté de la fraction du groupe ouvrier sur laquelle s'appuye principalement les organisations communistes accentue la faiblesse de l'enracinement syndical dans les ateliers et écarte la possibilité d'une homogénéisation de classe fondée sur les pratiques quotidiennes et la culture d'atelier. D'où la faiblesse chronique des effectifs et l'ampleur de la délégation de pouvoir en faveur des porte-parole. Dans ces conditions, en dépit de l'apparence de force qui se dégage du mouvement communiste à son apogée, le processus de segmentation et de recomposition que nous avons constaté pour les périodes précédentes réapparait très vite. Le mouvement ouvrier reste trop faiblement institutionnalisé pour pouvoir s'y opposer. Conséquence à long terme de l'absence d'exode rural massif au 19ème siècle et du recours précoce à l'immigration, il existe encore dans les années l950, un important "réservoir" de main d'oeuvre rurale que l'industrie standardisée (automobile, équipement ménager...) utilise à son profit pour "contourner les forteresses ouvrières" des banlieues et des cités et pour créer par conséquent de nouveaux lieux neufs d'industrialisation. Un nouveau recours massif à l'immigration permet une nouvelle fois de renouveller les échelons inférieurs du monde du travail; composés de ceux qu'on appelle désormais les OS, produits de la nouvelle phase de rationalisation technique. Ce processus favorise la mobilité sociale de la fraction la plus ancienne de la classe ouvrière. La nouvelle hétérogénéité du monde ouvrier (que ce soit au niveau des espaces et des postes de travail ou de l'origine ethnique des nouveaux ouvriers) provoque de nouvelles divisions du mouvement ouvrier, illustrées par la naissance de la CFDT.

En conclusion, la principale caractéristique de la classe ouvrière française sur la longue durée tient à mon sens à la constante faiblesse de son autonomisation en tant que groupe social, du fait de l'impossible rupture initiale par rapport à son environnement rural. Chaque période de forte industrialisation s'est concrétisée par l'apparition d'espaces ouvriers nouveaux, donc sans passé et sans mémoire (cités paternalistes de l'industrie lourde à la fin du 19ème siècle, banlieues de l'industrie automobile dans l'entre-deux-guerres, usines standardisées de l'électro-ménager dans les années l960). La faiblesse de l'identité de classe a été constamment entretenue également par l'incertitude des frontières du groupe ouvrier. Régulièrement renouvelée par le bas (constance d'un exode rural limité numériquement et de l'immigration étrangère), la culture "ouvrière" a toujours été, en France, fortement imprégnée des diverses formes de culture rurale. Mais l'afflux incessant de nouveaux entrants dans le groupe a favorisé la perméabilité de la classe également dans ses échelons supérieurs; donnant ainsi quelque consistance au mythe d'une école républicaine facteur d'égalité et de promotion sociale.
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28 juin 2008 6 28 /06 /juin /2008 21:18
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Ces cartes ont été réalisées par Bruno Baudrillart, alors emprisonné. Ce sont les messages d'un combat.



















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20 juin 2008 5 20 /06 /juin /2008 17:26
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Pour compléter l'article précédent sur le réformisme, voici les mots que Scheidemann prononça à l'annonce de la mort de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht:

"Je regrette sincèrement ces deux morts. Quotidiennement, les deux victimes ont appelé le peuple aux armes afin de renverser le gouvernement. Et voici que leur propre tactique terroriste les a eux-mêmes frappés."

Pour ceux qui décrypterait mal,Gilbert Badia qui publie cette déclaration dans son livre les Spartakistes - 1918, l'Allemagne en révolution, paru en 1966, écrit dans une note : Cette formule "revient en fait à absoudre les meurtriers et à rendre les victimes responsables de leur mort".


Cela revient aussi bien sûr à condamner la révolution que l'on taxe bien entendu, dès cette époque, de terrorisme. Et c'est bien le propre parti de Rosa Luxemburg qui mène le combat contre la révolution et pour la bourgeoisie, comme il s'était rallié à la guerre après avoir fait croire durant des décennies qu'il la combattait.

Réformisme ou révolution!


(D'abord journaliste, puis député SPD au Reichstag, Scheidemann, socialiste "modéré"  est partisan de la guerre 14-18. Il devient ministre sans portefeuille dans le dernier gouvernement impérial. C'est lui qui proclame la République en novembre18).

Illustration de Tardi et collage de Joëlle Aubron
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20 juin 2008 5 20 /06 /juin /2008 14:14
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Nul autre exemple ne montre mieux que la première guerre mondiale, la différences entre les mots et les actes. Nul autre exemple ne montre mieux les conséquences pour le prolétariat, pour l'humanité, de l'action de ces partis qui se disent révolutionnaires mais qui s'inscrivent dans la société qu'ils prétendent combattre. Le texte, publié ici, montre la faillitte d'une certaine forme de politique, réformiste même quand elle se prétend nouvelle.  apparu l'ampleur du ralliement et de la catastrophe, qu'elle a écrit ce texte.
90 ans après et des millions et millions de morts après, il nous montre que nous avons toujours à apprendre et comprendre avec Rosa Luxemburg.

On peut ajouter à ce commentaire qui date déjà de nombreux mois, que si Rosa Luxemburg est restée au sein de ce parti - pour le lien avec le prolétariat et la nécessité qu'elle ressentait d'un cadre organisationnel - à plusieurs reprises, elle a fait le pas de sortir : ainsi en créant le parti social-démocrate polonais en opposition au parti socialiste polonais - réformiste, nationaliste -, en 1905 en rejoignant la révolution russe ou en 1918 en participant à la création de la ligne spartakiste.


On peut ajouter aussi comme le montre ce texte qu'elle n'avait pas conscience, qu'elle ne pouvait avoir conscience, de la catastrophe humaine à laquelle pouvait mener le réformisme.

Nous n'avons pas le même regard. Nous savons quels ont été les différents avatars qu'il a pris.
Et aussi comment se sont créées à chaque fois des structure attrape-mouche, sur des bases soi-disant révolutionnaires. Et nous savons aussi les conséquences que cela a eues

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

J


"La scène a changé fondamentalement. La marche des six semaines sur Paris a pris les proportions d'un drame mondial ; l'immense boucherie est devenue une affaire quotidienne, épuisante et monotone, sans que la solution, dans quelque sens que ce soit, ait progressé d'un pouce. La politique bourgeoise est coincée, prise à son propre piège : on ne peut plus se débarrasser des esprits que l'on a évoqués.

Finie l'ivresse. Fini le vacarme patriotique dans les rues, la chasse aux automobiles en or ; les faux télégrammes successifs ; on ne parle plus de fontaines contaminées par des bacilles du choléra, d'étudiants russes qui jettent des bombes sur tous les ponts de chemin de fer de Berlin, de Français survolant Nuremberg ; finis les débordements d'une foule qui flairait partout l'espion ; finie la cohue tumultueuse dans les cafés où l'on était assourdi de musique et de chants patriotiques par vagues entières ; la population de toute une ville changée en populace, prête à dénoncer n'importe qui, à molester les femmes, à crier : hourra ! et à atteindre au paroxysme du délire en lançant elle-même des rumeurs folles ; un climat de crime rituel, une atmosphère de pogrome, où le seul représentant de la dignité humaine était l'agent de police au coin de la rue.

Le spectacle est terminé. Les savants allemands, ces « lémures vacillants », sont depuis longtemps, au coup de sifflet, rentrés dans leur trou. L'allégresse bruyante des jeunes filles courant le long des convois ne fait plus d'escorte aux trains de réservistes et ces derniers ne saluent plus la foule en se penchant depuis les fenêtres de leur wagon, un sourire joyeux aux lèvres ; silencieux, leur carton sous le bras, ils trottinent dans les rues où une foule aux visages chagrinés vaque à ses occupations quotidiennes.

Dans l'atmosphère dégrisée de ces journces blêmes, c'est un tout autre choeur que l'on entend : le cri rauque des vautours et des hyènes sur le champ de bataille. Dix mille tentes garanties standard ! Cent mille kilos de lard, de poudre de cacao, d'ersatz de café, livrables immédiatement, contre payement comptant ! Des obus, des tours, des cartouchières, des annonces de mariage pour veuves de soldats tombés au front, des ceinturons de cuir, des intermédiaires qui vous procurent des contrats avec l'armée - on n'accepte que les offres sérieuses ! La chair à canon, embarquée en août et septembre toute gorgée de patriotisme, pourrit maintenant en Belgique, dans les Vosges, en Masurie, dans des cimetières où l'on voit les bénéfices de guerre pousser dru. Il s'agit d'engranger vite cette récolte. Sur l'océan de ces blés, des milliers de mains se tendent, avides de rafler leur part.

Les affaires fructifient sur des ruines. Des villes se métamorphosent en monceaux de décombres, des villages en cimetières, des régions entières en déserts, des populations entières en troupes de mendiants, des églises en écuries. Le droit des peuples, les traités, les alliances, les paroles les plus sacrées, l'autorité suprême, tout est mis en pièces. N'importe quel souverain par la grâce de Dieu traite son cousin, s'il est dans le camp adverse, d'imbécile, de coquin et de parjure, n'importe quel diplomate qualifie son collègue d'en face d'infâme fripouille, n'importe quel gouvernement assure que le gouvernement adverse mène son peuple à sa perte, chacun vouant l'autre au mépris public ; et des émeutes de la faim éclatent en Vénétie, à Lisbonne, à Moscou, à Singapour ; et la peste s'étend en Russie, la détresse et le désespoir, partout.

Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu'elle est. Ce n'est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l'ordre, de la paix et du droit, c'est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l'anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l'humanité qu'elle se montre toute nue, telle qu'elle est vraiment.

Et au coeur de ce sabbat de sorcière s'est produit une catastrophe de portée mondiale : la capitulation de la social-démocratie internationale. Ce serait pour le prolétariat le comble de la folie que de se bercer d'illusions à ce sujet ou de voiler cette catastrophe : c'est le pire qui pourrait lui arriver. « Le démocrate » (c'est-à-dire le petit-bourgeois révolutionnaire) dit Marx, « sort de la défaite la plus honteuse aussi pur et innocent que lorsqu'il a commencé la lutte : avec la conviction toute récente qu'il doit vaincre, non pas qu'il s'apprête, lui et son parti, à réviser ses positions anciennes, mais au contraire parce qu'il attend des circonstances qu'elles évoluent en sa faveur. » Le prolétariat moderne, lui, se comporte tout autrement au sortir des grandes épreuves de l'histoire. Ses erreurs sont aussi gigantesques que ses tâches. Il n'y a pas de schéma préalable, valable une fois pour toutes, pas de guide infaillible pour lui montrer le chemin à parcourir. Il n'a d'autre maître que l'expérience historique. Le chemin pénible de sa libération n'est pas pavé seulement de souffrances sans bornes, mais aussi d'erreurs innombrables. Son but, sa libération, il l'atteindra s'il sait s'instruire de ses propres erreurs. Pour le mouvement prolétarien, l'autocritique, une autocritique sans merci, cruelle, allant jusqu'au fond des choses, c'est l'air, la lumière sans lesquels il ne peut vivre.

Dans la guerre mondiale actuelle, le prolétariat est tombé plus bas que jamais. C'est là un malheur pour toute l'humanité. Mais c'en serait seulement fini du socialisme au cas où le prolétariat international se refuserait à mesurer la profondeur de sa chute et à en tirer les enseignements qu'elle comporte.

Ce qui est en cause actuellement, c'est tout le dernier chapitre de l'évolution du mouvement ouvrier moderne au cours de ces vingt-cinq dernières années. Ce à quoi nous assistons, c'est à la critique et au bilan de l'oeuvre accomplie depuis près d'un demi-siècle. La chute de la Commune de Paris avait scellé la première phase du mouvement ouvrier européen et la fin de la Ire Internationale. A partir de là commença une phase nouvelle. Aux révolutions spontanées, aux soulèvements, aux combats sur les barricades, après lesquels le prolétariat retombait chaque fois dans son état passif, se substitua alors la lutte quotidienne systématique, l'utilisation du parlementarisme bourgeois, l'organisation des masses, le mariage de la lutte économique et de la lutte politique, le mariage de l'idéal socialiste avec la défense opiniâtre des intérêts quotidiens immédiats. Pour la première fois, la cause du prolétariat et de son émancipation voyait briller devant elle une étoile pour la guider : une doctrine scientifique rigoureuse. A la place des sectes, des écoles, des utopies, des expériences que chacun faisait pour soi dans son propre pays, on avait un fondement théorique international, base commune qui faisait converger les différents pays en un faisceau unique. La théorie marxiste mit entre les mains de la classe ouvrière du monde entier une boussole qui lui permettait de trouver sa route dans le tourbillon des événements de chaque jour et d'orienter sa tactique de combat à chaque heure en direction du but final, immuable.

C'est le parti social-démocrate allemand qui se fit le représentant, le champion et le gardien de cette nouvelle méthode. La guerre de 1870 et la défaite de la Commune de Paris avaient déplacé vers l'Allemagne le centre de gravité du mouvement ouvrier européen. De même que la France avait été le lieu par excellence de la lutte de classe prolétarienne pendant cette première phase, de même que Paris avait été le coeur palpitant et saignant de la classe ouvrière européenne à cette époque, de même la classe ouvrière allemande devint l'avant-garde au cours de la deuxième phase. Au prix de sacrifices innombrables, par un travail minutieux et infatigable, elle a édifié une organisation exemplaire, la plus forte de toutes ; elle a créé la presse la plus nombreuse, donné naissance aux moyens de formation et d'éducation les plus efficaces, rassemblé autour d'elle les masses d'électeurs les plus considérables et obtenu le plus grand nombre de sièges de députés. La social-démocratie allemande passait pour l'incarnation la plus pure du socialisme marxiste. Le parti social-démocrate occupait et revendiquait une place d'exception en tant que maître et guide de la II° Internationale. En 1895, Friedrich Engels écrivit dans sa préface célèbre à l'ouvrage de Marx les luttes de classes en France :

« Mais, quoi qu'il arrive dans d'autres pays, la social-démocratie allemande a une position particulière et, de ce fait, du moins dans l'immédiat, aussi une tâche particulière. Les deux millions d'électeurs qu'elle envoie aux urnes, y compris les jeunes gens et les femmes qui sont derrière eux en qualité de non-électeurs, constituent la masse la plus nombreuse et la plus compacte, le " groupe de choc " décisif de l'armée prolétarienne internationale. »
La social-démocratie allemande était, comme l'écrivit la Wiener Arbeiterzeitung le 5 août 1914 « le joyau de l'organisation du prolétariat conscient. » La social-démocratie française, italienne et belge, les mouvements ouvriers de Hollande, de Scandinavie, de Suisse et des États-Unis marchaient sur ses traces avec un zèle toujours croissant. Quant aux Slaves, les Russes et les sociaux-démocrates des Balkans, ils la regardaient avec une admiration sans bornes, pour ainsi dire inconditionnelle. Dans la II° Internationale, le « groupe de choc » allemand avait un rôle prépondérant. Pendant les congrès, au cours des sessions du bureau de l'Internationale socialiste, tout était suspendu à l'opinion des Allemands. En particulier lors des débats sur les problèmes posés par la lutte contre le militarisme et sur la question de la guerre, la position de la social-démocratie allemande était toujours déterminante. « Pour nous autres Allemands, ceci est inacceptable » suffisait régulièrement à décider de l'orientation de l'Internationale. Avec une confiance aveugle, celle-ci s'en remettait à la direction de la puissante social-démocratie allemande tant admirée : elle était l'orgueil de chaque socialiste et la terreur des classes dirigeantes dans tous les pays.

Et à quoi avons-nous assisté en Allemagne au moment de la grande épreuve historique ? A la chute la plus catastrophique, à l'effondrement le plus formidable. Nulle part l'organisation du prolétariat n'a été mise aussi totalement au service de l'impérialisme, nulle part l'état de siège n'est supporté avec aussi peu de résistance, nulle part la presse n'est autant bâillonnée, l'opinion publique autant étranglée, la lutte de classe économique et politique de la classe ouvrière aussi totalement abandonnée qu'en Allemagne.

Or, la social-démocratie allemande n'était pas seulement l'avant-garde la plus forte de l'Internationale, elle était aussi son cerveau. Aussi faut-il commencer par elle, par l'analyse de sa chute ; c'est par l'étude de son cas que doit commencer le procès d'autoréflexion. C'est pour elle une tâche d'honneur que de devancer tout le monde pour le salut du socialisme international, c'est-à-dire de procéder la première à une autocritique impitoyable. Aucun autre parti, aucune autre classe de la société bourgeoise ne peut étaler ses propres fautes à la face du monde, ne peut montrer ses propres faiblesses dans le miroir clair de la critique, car ce miroir lui ferait voir en même temps les limites historiques qui se dressent devant elle et, derrière elle, son destin. La classe ouvrière, elle, ose hardiment regarder la vérité en face, même si cette vérité constitue pour elle l'accusation la plus dure, car sa faiblesse n'est qu'un errement et la loi impérieuse de l'histoire lui redonne la force, lui garantit sa victoire finale.

L'autocritique impitoyable n'est pas seulement pour la classe ouvrière un droit vital, c'est aussi pour elle le devoir suprême. Sur notre navire, nous transportions les trésors les plus précieux de l'humanité confiés à la garde du prolétariat, et tandis que la société bourgeoise, flétrie et déshonorée par l'orgie sanglante de la guerre, continue de se précipiter vers sa perte, il faut que le prolétariat international se reprenne, et il le fera, pour ramasser les trésors que, dans un moment de confusion et de faiblesse au milieu du tourbillon déchaîné de la guerre mondiale, il a laissé couler dans l'abîme.

Une chose est certaine, la guerre mondiale représente un tournant pour le monde. C'est une folie insensée de s'imaginer que nous n'avons qu'à laisser passer la guerre, comme le lièvre attend la fin de l'orage sous un buisson pour reprendre ensuite gaiement son petit train. La guerre mondiale a changé les conditions de notre lutte et nous a changés nous-mêmes radicalement. Non que les lois fondamentales de l'évolution capitaliste, le combat de vie et de mort entre le capital et le travail, doivent connaître une déviation ou un adoucissement. Maintenant déjà, au milieu de la guerre, les masques tombent et les vieux traits que nous connaissons si bien nous regardent en ricanant. Mais à la suite de l'éruption du volcan impérialiste, le rythme de l'évolution a reçu une impulsion si violente qu'à côté des conflits qui vont surgir au sein de la société et à côté de l'immensité des tâches qui attendent le prolétariat socialiste dans l'immédiat toute l'histoire du mouvement ouvrier semble n'avoir été jusqu'ici qu'une époque paradisiaque.

Historiquement, cette guerre était appelée à favoriser puissamment la cause du prolétariat. Chez Marx qui, avec un regard prophétique, a découvert au sein du futur tant d'événements historiques, on peut trouver dans les luttes de classes en France ce remarquable passage :

« En France, le petit bourgeois fait ce que, normalement, devrait faire le bourgeois industriel ; l'ouvrier fait ce qui, normalement, serait la tâche du petit-bourgeois ; et la tâche de l'ouvrier, qui l'accomplit ? Personne. On ne la résout pas en France, en France on la proclame. Elle n'est nulle part résolue dans les limites de la nation ; la guerre de classes au sein de la société française s'élargit en une guerre mondiale où les nations se trouvent face à face. La solution ne commence qu'au moment où, par la guerre mondiale, le prolétariat est mis à la tête du peuple qui domine le marché mondial, à la tête de l'Angleterre. La révolution, trouvant là non son terme, mais son commencement d'organisation, n'est pas une révolution au souffle court. La génération actuelle ressemble aux Juifs que Moïse conduit à travers le désert. Elle n'a pas seulement un nouveau monde à conquérir, il faut qu'elle périsse pour faire place aux hommes qui seront à la hauteur du nouveau monde. »
Ceci fut écrit en 1850, à une époque où l'Angleterre était le seul pays capitaliste développé, où le prolétariat anglais était le mieux organisé et semblait appelé à prendre la tête de la classe ouvrière internationale grâce à l'essor économique de son pays. Remplacez l'Angleterre par l'Allemagne et les paroles de Marx apparaissent comme une préfiguration géniale de la guerre mondiale actuelle. Cette guerre était appelée à mettre le prolétariat allemand à la tête du peuple et ainsi à produire un « début d'organisation » en vue du grand conflit général international entre le Capital et le Travail pour le pouvoir politique.

Et quant à nous, avons-nous présenté d'une façon différente le rôle de la classe ouvrière dans la guerre mondiale ? Rappelons-nous comment naguère encore nous décrivions l'avenir :

« Alors arrivera la catastrophe. Alors sonnera en Europe l'heure de la marche générale, qui conduira sur le champ de bataille de 16 à 18 millions d'hommes, la fleur des différentes nations, équipés des meilleurs instruments de mort et dressés les uns contre les autres. Mais, à mon avis, derrière la grande marche générale, il y a le grand chambardement. Ce n'est pas de notre faute : c'est de leur faute. Ils poussent les choses à leur comble. Ils vont provoquer une catastrophe. Ils récolteront ce qu'ils ont semé. Le crépuscule des dieux du monde bourgeois approche. Soyez-en sûrs, il approche ! »
Voilà ce que déclarait l'orateur de notre fraction, Bebel, au cours du débat sur le Maroc au Reichstag.

Le tract officiel du parti, Impérialisme ou Socialisme, qui a été diffusé il y a quelques années à des centaines de milliers d'exemplaires, s'achevait sur ces mots :

« Ainsi la lutte contre le capitalisme se transforme de plus en plus en un combat décisif entre le Capital et le Travail. Danger de guerre, disette et capitalisme - ou paix, prospérité pour tous, socialisme ; voilà les termes de l'alternative. L'histoire va au-devant de grandes décisions. Le prolétariat doit inlassablement oeuvrer à sa tâche historique, renforcer la puissance de son organisation, la clarté de sa connaissance. Dès lors, quoi qu'il puisse arriver, soit que, par la force qu'il représente, il réussisse à épargner à l'humanité le cauchemar abominable d'une guerre mondiale, soit que le monde capitaliste ne puisse périr et s'abîmer dans le gouffre de l'histoire que comme il en est né, c'est-à-dire dans le sang et la violence, à l'heure historique la classe ouvrière sera prête et le tout est d'être prêt.  »
Dans le Manuel pour les électeurs sociaux-démocrates de l'année 1911, destiné aux dernières élections parlementaires, on peut lire à la page 42, à propos de la guerre redoutée :

« Est-ce que nos dirigeants et nos classes dirigeantes croient pouvoir exiger de la part des peuples une pareille monstruosité ? Est-ce qu'un cri d'effroi, de colère et d'indignation ne va pas s'emparer d'eux et les amener à mettre fin à cet assassinat ? »
« Ne vont-ils pas se demander : pour qui et pourquoi tout cela ? Sommes-nous donc des malades mentaux, pour être ainsi traités ou pour nous laisser traiter de la sorte ? »
« Celui qui examine à tête reposée la possibilité d'une grande guerre européenne ne peut aboutir qu'à la conclusion que voici : »

« La prochaine guerre européenne sera un jeu de va-tout sans précédent dans l'histoire du monde, ce sera selon toute probabilité la dernière guerre. »
C'est dans ce langage et en ces termes que nos actuels députés au Reichstag firent campagne pour leurs 110 mandats.

Lorsqu'en été 1911 le saut de panthère de l'impérialisme allemand sur Agadir et ses cris de sorcière eurent rendu imminent le péril d'une guerre européenne, une assemblée internationale réunie à Londres adopta le 4 août la résolution suivante :

« Les délégués allemands, espagnols, anglais, hollandais et français des organisations ouvrières se déclarent prêts à s'opposer avec tous les moyens dont ils disposent à toute déclaration de guerre. Chaque nation représentée prend l'engagement d'agir contre toutes les menées criminelles des classes dirigeantes, conformément aux décisions de son Congrès national et du Congrès international. »
Cependant, lorsqu'en novembre 1912 le Congrès international se réunit à Bâle, alors que le long cortège des délégués ouvriers arrivait à la cathédrale, tous ceux qui étaient présents furent saisis d'un frisson devant la solennité de l'heure fatale qui approchait et ils furent pénétrés d'un sentiment d'héroique détermination.

Le froid et sceptique Victor Adler s'écriait :

« Camarades, il est capital que, nous retrouvant ici à la source commune de notre pouvoir, nous y puisions la force de faire ce que nous pouvons dans nos pays respectifs, selon les formes et les moyens dont nous disposons et avec tout le pouvoir que nous possédons, pour nous opposer au crime de la guerre. Et si cela devait s'accomplir, si cela devait réellement s'accomplir, alors nous devons tâcher que ce soit une pierre, une pierre de la fin. »
« Voilà le sentiment qui anime toute l'Internationale. »
« Et si le meurtre et le feu et la pestilence se répandent à travers l'Europe civilisée - nous ne pouvons y penser qu'en frémissant et la révolte et l'indignation nous déchirent le coeur. Et nous nous demandons : les hommes, les prolétaires, sont-ils vraiment encore des moutons, pour qu'ils puissent se laisser mener à l'abattoir sans broncher ?... »
Troelstra prit la parole au nom des « petites nations » ainsi qu'au nom de la Belgique :

« Le prolétariat des petits pays se tient corps et âme à la disposition de l'Internationale pour tout ce qu'elle décidera en vue d'écarter la menace de guerre. Nous exprimons à nouveau l'espoir que, si un jour les classes dirigeantes des grands États appellent aux armes les fils de leur prolétariat pour assouvir la cupidité et le despotisme de leurs gouvernements dans le sang des petits peuples et sur leur sol - alors, grâce à l'influence puissante de leurs parents prolétaires et de la presse prolétarienne, les fils du prolétariat y regarderont à deux fois avant de nous faire du mal à nous, leurs amis et leurs frères, pour servir cette entreprise contraire à la civilisation. »
Et après avoir lu le manifeste contre la guerre au nom du bureau de l'Internationale, Jaurès conclut ainsi son discours :

« L'Internationale représente toutes les forces morales du monde ! Et si sonnait un jour l'heure tragique qui exige de nous que nous nous livrions tout entiers, cette idée nous soutiendrait et nous fortifierait. Ce n'est pas à la légère, mais bien du plus profond de notre être que nous déclarons : nous sommes prêts à tous les sacrifices ! »
C'était comme un serment de Rutli. Le monde entier avait les yeux fixés sur la cathédrale de Bâle, où les cloches sonnaient d'un air grave et solennel pour annoncer la grande bataille à venir entre l'armée du Travail et la puissance du Capital.

Le 3 décembre 1912, David, l'orateur du groupe social-démocrate, déclarait au Reichstag :

« Ce fut une des plus belles heures de ma vie, je l'avoue. Lorsque les cloches de la cathédrale accompagnèrent le cortège des sociaux-démocrates internationaux, lorsque les drapeaux rouges se disposaient dans le choeur de l'église autour de l'autel, et que le son de l'orgue saluait les délégués des peuples qui venaient proclamer la paix - j'en ai gardé une impression absolument inoubliable. ... Les masses cessent d'être des troupeaux dociles et abrutis. C'est un élément nouveau dans l'histoire. Auparavant les peuples se laissaient aveuglément exciter les uns contre les autres par ceux qui avaient intérêt à la guerre, et se laissaient conduire au meurtre massif. Cette époque est révolue. Les masses se refusent désormais à être les instruments passifs et les satellites d'un intérêt de guerre, quel qu'il soit.  »
Une semaine encore avant que la guerre n'éclate, le 26 juillet 1914, les journaux du parti allemand écrivaient :

« Nous ne sommes pas des marionnettes, nous combattons avec toute notre énergie un système qui fait des hommes des instruments passifs de circonstances qui agissent aveuglément, de ce capitalisme qui se prépare à transformer une Europe qui aspire à la paix en une boucherie fumante. Si ce processus de dégradation suit son cours, si la volonté de paix résolue du prolétariat allemand et international qui apparaîtra au cours des prochains jours dans de puissantes manifestations ne devait pas être en mesure de détourner la guerre mondiale, alors, qu'elle soit à moins la dernière guerre, qu'elle devienne le crépuscule des dieux du capitalisme. » (Frankfurter Volksstimme.)
Le 30 juillet 1914, l'organe central de la social-démocratie allemande s'écriait :

« Le prolétariat socialiste allemand décline toute responsabilité pour les événements qu'une classe dirigeante aveuglée jusqu'à la démence est en train de provoquer. Il sait que pour lui une nouvelle vie s'élèvera des ruines. Les responsables, ce sont ceux qui aujourd'hui détiennent le pouvoir ! »
« Pour eux, il s'agit d'une question de vie ou de mort ! »
« L'histoire du monde est le tribunal du monde. »
Et c'est alors que survint cet événement inoui, sans précédent : le 4 août 1914.

Cela devait-il arriver ainsi ? Un événement d'une telle portée n'est certes pas le fait du hasard. Il doit résulter de causes objectives profondes et étendues. Cependant ces causes peuvent résider aussi dans les erreurs de la social-démocratie qui était le guide du prolétariat, dans la faiblesse de notre volonté de lutte, de notre courage, de notre conviction. Le socialisme scientifique nous a appris à comprendre les lois objectives du développement historique. Les hommes ne font pas leur histoire de toutes pièces. Mais ils la font eux-mêmes. Le prolétariat dépend dans son action du degré de développement social de l'époque, mais l'évolution sociale ne se fait pas non plus en dehors du prolétariat, celui-ci est son impulsion et sa cause, tout autant que son produit et sa conséquence. Son action fait partie de l'histoire tout en contribuant à la déterminer. Et si nous pouvons aussi peu nous détacher de l'évolution historique que l'homme de son ombre, nous pouvons cependant bien l'accélérer ou la retarder.

Dans l'histoire, le socialisme est le premier mouvement populaire qui se fixe comme but, et qui soit chargé par l'histoire, de donner à l'action sociale des hommes un sens conscient, d'introduire dans l'histoire une pensée méthodique et, par là, une volonté libre. Voilà pourquoi Friedrich Engels dit que la victoire définitive du prolétariat socialiste constitue un bond qui fait passer l'humanité du règne animal au règne de la liberté. Mais ce « bond » lui-même n'est pas étranger aux lois d'airain de l'histoire, il est lié aux milliers d'échelons précédents de l'évolution, une évolution douloureuse et bien trop lente. Et ce bond ne saurait être accompli si, de l'ensemble des prémisses matérielles accumulées par l'évolution, ne jaillit pas l'étincelle de la volonté consciente de la grande masse populaire. La victoire du socialisme ne tombera pas du ciel comme fatum, cette victoire ne peut être remportée que grâce à une longue série d'affrontements entre les forces anciennes et les forces nouvelles, affrontements au cours desquels le prolétariat international fait son apprentissage sous la direction de la social-démocratie et tente de prendre en main son propre destin, de s'emparer du gouvernail de la vie sociale. Lui qui était le jouet passif de son histoire, il tente d'en devenir le pilote lucide.

Friedrich Engels a dit un jour : « La société bourgeoise est placée devant un dilemme : ou bien passage au socialisme ou rechute dans la barbarie. » Mais que signifie donc une « rechute dans la barbarie » au degré de civilisation que nous connaissons en Europe aujourd'hui ? Jusqu'ici nous avons lu ces paroles sans y réfléchir et nous les avons répétées sans en pressentir la terrible gravité. Jetons un coup d'oeil autour de nous en ce moment même, et nous comprendrons ce que signifie une rechute de la société bourgeoise dans la barbarie. Le triomphe de l'impérialisme aboutit à l'anéantissement de la civilisation - sporadiquement pendant la durée d'une guerre moderne et définitivement si la période des guerres mondiales qui débute maintenant devait se poursuivre sans entraves jusque dans ses dernières conséquences. C'est exactement ce que Friedrich Engels avait prédit, une génération avant nous, voici quarante ans. Nous sommes placés aujourd'hui devant ce choix : ou bien triomphe de l'impérialisme et décadence de toute civilisation, avec pour conséquences, comme dans la Rome antique, le dépeuplement, la désolation, la dégénérescence, un grand cimetière ; ou bien victoire du socialisme, c'est-à-dire de la lutte consciente du prolétariat international contre l'impérialisme et contre sa méthode d'action : la guerre. C'est là un dilemme de l'histoire du monde, un ou bien - ou bien encore indécis dont les plateaux balancent devant la décision du prolétariat conscient. Le prolétariat doit jeter résolument dans la balance le glaive de son combat révolutionnaire : l'avenir de la civilisation et de l'humanité en dépendent. Au cours de cette guerre, l'impérialisme a remporté la victoire. En faisant peser de tout son poids le glaive sanglant de l'assassinat des peuples, il a fait pencher la balance du côté de l'abime, de la désolation et de la honte. Tout ce fardeau de honte et de désolation ne sera contrebalancé que si, au milieu de la guerre, nous savons retirer de la guerre la leçon qu'elle contient, si le prolétariat parvient à se ressaisir et s'il cesse de jouer le rôle d'un esclave manipulé par les classes dirigeantes pour devenir le maître de son propre destin.

La classe ouvrière paie cher toute nouvelle prise de conscience de sa vocation historique. Le Golgotha de sa libération est pavé de terribles sacrifices. Les combattants des journées de Juin, les victimes de la Commune, les martyrs de la Révolution russe - quelle ronde sans fin de spectres sanglants ! Mais ces hommes-là sont tombés au champ d'honneur, ils sont, comme Marx l'écrivit à propos des héros de la Commune, « ensevelis à jamais dans le grand coeur de la classe ouvrière ». Maintenant, au contraire, des millions de prolétaires de tous les pays tombent au champ de la honte, du fratricide, de l'automutilation, avec aux lèvres leurs chants d'esclaves. Il a fallu que cela aussi ne nous soit pas épargné. Vraiment nous sommes pareils à ces Juifs que Moïse a conduits à travers le désert. Mais nous ne sommes pas perdus et nous vaincrons pourvu que nous n'ayons pas désappris d'apprendre. Et si jamais le guide actuel du prolétariat, la social-démocratie, ne savait plus apprendre, alors elle périrait « pour faire place aux hommes qui soient à la hauteur d'un monde nouveau ».

par lieb publié dans : Contre le réformisme
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7 mai 2008 3 07 /05 /mai /2008 22:50
Pour consulte le blog:  linter.over-blog.com

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SETIF 1945

En ce 8 mai, date qui symbolise - pour qui encore aujourd'hui d'ailleurs? - la fin du nazisme, c'est bien sûr aussi au 8 mai 45 en Algérie, aux morts de Setif - symbole de la continuation de l'emprise du capitalisme sur l'Algérie par l'intermédiaire du colonialisme que nous pensons et à tous ceux qui ont lutté et luttent encore contre l'impérialisme. C'est pourquoi nous avons choisi de rendre hommage à ce combat. Et de publier la déclaration d'un de ceux qui furent condamnés pour la lutte contre le colonialisme français. Et  il est pour nous bien symbolique - alors qu'aujourd'hui les militants révolutionnaires voient les mesures d'exception se perpétuer encore avec l'application de la loi de sûreté au nom de leur dangerosité -  de voir que la déclaration d'Abdelkader Guerroudj commence par cette phrase:


Nous allons bientôt être jugés,

mais malgré nous, comme des malfaiteurs



Nous allons bientôt être jugés, mais malgré nous, comme des malfaiteurs. Avec tout ce qui a été dit au cours de ces débats, vous disposez  certainement d'éléments poiur nous apprécier comme nous le méritons.

Les faits qui nous sont reprochés entrent dans le cadre d'une entreprise qu'on a qualifiée d'antifrançaise. Laissez moi vous dire que cette accusation me choque profondément et voici pourquoi.

Avant mon expulsion en France, avant notre expulsion, j'ai eu effectivement à souffrir et à voir mes frères souffrir de la misère, de  l'injustice, de l'exploitation, de l'atteinte à la dignité d'hommes. Né moi-même dans la misère, ma conscience, mon devoir m'interdisaient d'oublier ceux qui y restaient encore. Cela m'a amené à entrer en lutte contre les gens de l'Administration, de cette Administration qui, officiellement représentait la France. Si je m'étais trouvé dans votre pays, il est clair que je n'aurais jamais eu affaire à des gardes-champêtres, des caïds ou des administrateurs. Je pourrais aisément démontrer; à travers des exemples précis, vécus, détaillés que ces hommes ne représentaient pas la France, mais étaient les agents et les soutiens directs d'un système, le système colonial aux mains d'une infime minorité de gros possédants.

A l'école française, à travers vos grands hommes, à travers l'histoire de votre peuple de France, depuis Vercingétorix et sa lutte contre l'envahisseur romain jusqu'à la résistance historique contre les Allemands de 1940 à 1944, je me suis fait une certaine idée de la France.

Au cours de deux guerres, beaucoup d'Algériens dont mon père, ont combattu et sont morts pour défendre la France. Au lendemain de la deuxième, et comme pour les récompenser, il y eut les cruels événements du Constantinois. Le dictionnaire Larousse, 3ème édition de 1956, semble rattacher ces événements de 1945 à ceux de 1954 et je crois qu'il a raison. Il dit en effet que "des troubles ont éclaté en 1945. Pour les réprimer, le gouvernement français a envoyé une armée, mais aucune solution politique n'a été trouvée." Nous en sommes encore là.

Je me suis longtemps demandé comment il se faisait qu'au bout de 120 ans d'occupation, la France n'ait pas eu le temps d'amener les populations d'Algérie dont elle avait la charge à s'administrer elles-mêmes. Nous ne voulons pas croire qu'il y ait là un aveu d'impuissance, et nous préférons constater que, même lorsqu'il s'est agi de quelques dispositions favorables de ce malheureux statut de 1947, il a suffi aux maîtres de ce pays de les rejeter d'un coup de pied dédaigneux pour qu'elles soient reléguées dans un oubli total. Ce sont ceux qui s'opposent et se sont toujours opposés à la volonté de la France, qui parlent en son nom en Algérie. Ce sont les mêmes qui ont assailli à coup de tomates, insulté un Président du Conseil français, dont  ils ont piétiné la gerbe au cours de manifestations hystériques de ce lamentable 6 février 1956. Ce jour-là, beaucoup d'Algériens qui espéraient encore la paix et une solution politique à un problème politique, se sont demandé où était la France: devaient-ils la voir à travers ce Président du Conseil français qui venait d'être élu sur un programme de paix, ou à travers ses insulteurs, trompés par une propagande entièrement entre les mains des seigneurs de ce pays? Ce jour-là, moi aussi, je me suis posé cette question: lesquels sont les Français? Car, Messieurs, il ne saurait y avoir deux France.

Le drame, Monsieur Le Président, Messieurs les Juges, est là: il y en a qui veulent servir de la France; mais ici en Algérie, nous regrettons d'avoir à vous dire que nous avons affaire à des gens qui ne veulent que se servir de la France, et qui s'en servent. Puis-je me permettre de vous citer une phrase du grand écrivain français Roland Dorgelès? Elle est tirée d'un livre écrit en 1929, la Roue mandarine, et bien que se rapportant à l'Indochine, elle est parfaitement applicable à l'Algérie où nous avons le même système colonial. Je cite:
"Si nos hommes d'Etat, nos gouverneurs, cédant à la pression des profiteurs de la colonie, appliquent en Indochine une politique de force, s'ils refusent d'accorder à l'indigène des droits plus étendus, s'il ne font rien pour augmenter son bien-être et le considèrent plus longtemps comme l'outil vivant uniquement chargé de les enrichir, la France, avant trente ans, aura perdu son plus bel empire."

Roland Dorgelès ne se doutait certainement pas en 1929 que ses appréciations auraient la valeur d'une terrible prophétie.

Voilà Messieurs, pourquoi nous en sommes là. Voilà pourquoi j'ai été expulsé de mon pays. Ce Ier mai 1955, en voyant disparaître à mes regards les rivages de mon Algérie aimée, je pris définitivement conscience de ma qualité d'Algérien. Je crois que ce n'est pas un crime d'aimer son pays, et je l'ai aimé davantage parce que j'en étais chassé.

J'aime mon pays.Mais est-ce à dire que je suis antifrançais? Je crois vous avoir dit avec suffisamment de force au cours de ce procès, que je ne l'étais pas. Vous-même, Monsieur le Président, avez souligné, et je vous en remercie, certains points qui prouveraient que je ne le suis pas. Vous me permettrez cependant d'ajouter quelque chose: nous sommes, mes frères, ma femme et moi, défendus par des avocats français, des avocats parisiens pour la plupart. Au risque de devoir choquer leur modestie, je crois pouvoir avancer que lorsque leur patrie était en danger, ils ont montré qu'ils étaient capables de la défendre. Si nous étions antifrançais, nous n'aurions pas fait appel, nous Algériens, à des ennemis pour nous défendre. Eux-mêmes n'auraient d'ailleurs pas accepté de prendre la défense de leur patrie. Bien plus, ils savent qu'ils défendent une partie, la meilleure, de la France. Si vous pensez un seul instant que ces avocats soient en mesure de nous défendre, contre leur patrie, contre votre patrie, alors il faudrait les arrêter tout de suite.

En France, je fus accueilli par d'authentiques Français et notemment par un homme dont le fils a été fusillé à 18 ans par les Allemands. Je rencontrai en France chaude compréhension et fraternité réelle. J'aurais pu y vivre dans la quiétude et attendre lâchement la fin des événements. Mais j'ai pensé que, même si mon pays n'avait pas encore de gouvernement légal qui pût lancer un appel de mobilisation généale, mon devoir me commandait d'être à côté de mes frères qui avaient souffert et au besoin de souffrir avec eux. Et c'est pour cela que je suis aujourd'hui devant vous, et non guidé par des intérêts sordides.

J'ai peut-être eu le tort, fidèle aux leçons que j'ai puisées dans votre propre histoire, d'aimer et de vouloir servir mon pays. Par delà votre uniforme, je m'adresse à votre coeur et je vous demande: n'auriez-vous pas, à ma place, et après avoir constaté la vanité de tous les autres moyens, fait comme moi pour aider vos frères?

Et c'est pour se débarrasser de ce régime colonial, de ses soutiens et non de la France ou des Européens, que le peuple s'est engagé dans la révolution et la guerre depuis 1954. Aucun agitateur au monde, aussi diabolique soit-il, aucune radio au monde n'aurait pu soulever notre peuple: les causes de notre soulèvement sont ici, uniquement ici. Après avoir utilisé plusieurs slogans qui se sont tour à tour effondrés devant un examen objectif, les responsables de cette guerre qui nous déchire, les profiteurs du régime colonial, pour couper court à toute discussion et maintenir le statu quo ante, ont décrété que l'Algérie était française.

Messieurs, soyons sérieux. Au paysan Tlemcénen, allez parler de la Picardie, de la Charente ou du Roussillon. Il ne saura même pas ce que cela veut dire, ne serait-ce que parce que, dans la majorité des cas, il n'a pas eu de place à l'école. Mais parlez-lui d'Aïn-Sefra, de Miliana, de Tizi-Ouzou, de Biskra, de la Kabylie ou des Aurès, il comprendra, parce que, même s'il ne les a pas visités, ces lieux font partie de son pays, de l'Algérie. A l'inverse, dites au pâtre des Alpes que l'Algérie, c'est la France, il se demandera par quel pouvoir magique on a pu supprimer la Méditerranée. Tout au plus croira-t-il que l'Algérie appartient à la France comme les vaches qu'il est en train de garder appartiennent au fermier qui en tirera lait et fromage. Passe encore si l'exploitation des richesses de l'Algérie profitait à la France. Car n'est-il pas vrai que, si elle rapporte gros à quelques-uns, l'Algérie est un fardeau pour la France?

Aujourd'hui, contre l'exploitation, derrière le Front de Libération Nationale, tout un peuple se bat. Au Front de Libération Nationale apportent leurs concours, même d'anciens soutiens du régime colonial qui ont pris conscience de leurs devoirs d'Algériens. Aujourd'hui, en plein XXème siècle, l'indépendance de tous les peuples est une nécessité, une fatalité de l'histoire, et le peuple algérien n'y échappera pas. Nous savons, et nous ne nous étendrons pas là-dessus, que certaines découvertes et des nécessités d'ordre stratégique rendent difficile la recherche d'une solution au problème algérien.

On ne peut pas forcer les Algériens à se sentir français. Mais si l'Algérie ne veut pas, ne peut pas être française, est-ce à dire que cette indépendance doive se faire contre la France?

Non! Et ne serait-ce que pour des commodités de langue, je suis sûr que lorsque nous aurons besoin de matériel, de techniciens, d'ingénieurs, de médecins, de professeurs pour construire notre pays, c'est à la France que nous nous adresserons d'abord. Je crois que ce serait là l'intérêt véritable de nos deux pays.

L'intérêt de la France n'est pas d'avoir ici des valets prêts à tout moment à passer au service d'un maître plus puissant, mais des amis ayant librement consenti cette amitié. C'est ce que n'ont cessé de déclarer les dirigeants du Front de Libération Nationale, et en particulier Ferhat Abbas qui a longtemps été considéré comme un ami de la France.

Notre mouvement n'est pas raciste, et cela n'a plus besoin d'être démontré. Personnellement, je hais le racisme. Je hais le racisme, parcequ'il n'y a pas de race supérieure ni de race inférieure, parce qu'il n'y a que des hommes et qu'il ne devrait y avoir que des frères. Oui, je hais le racisme, cette bétise monstrueuse, et ceux qui le pratiquent consciemment, et c'est pourquoi je n'ai ni à rougir ni à être fier de m'être marié avec une juive. Seuls ceux qui ont honte de leur origine sont dignes de mépris. Quelques jours avant mon arrestation encore, non loin d'ici, je fus doublement victime de cette chose mauvaise: pris pour un Européen, je subis l'hostilité d'un employé musulman qui fut à son tour insulté en termes racistes par des femmes européennes outrées de voir un "raton" traiter de la sorte un "Français" Il ne me resta plus qu'à baisser la tête et partir écoeuré.

Notre mouvement n'est ni fanatique, ni xénophobe. Regardez-nous: nous ne sommes ici qu'un petit nombre et déjà, il y en a parmi nous qui sont d'origine juive, catholique, musulmane, protestante. Nous ne voulons même pas suivre, ceux qui pernicieusement, disent: "si nous en sommes là, c'est de la faute des Etrangers, les Espagnols, les Italiens ou les Maltais par exemple." Non! Le responsable, c'est le système. Et ceux qui, à notre place, devraient iêtre ci à ce procès, peut-être faudrait-il les chercher parmi les chefs de la manifestation du 6 février 1956, parmi les insulteurs de la France, ou parmi ceux qui ont essayé d'attenter à la vie du général Salan.

Monsieur le Président, Messieurs les Juges, avant nous des hommes ont souffert, avant nous des hommes ont connu l'exil et parfois la prison, et parfois la mort pour le triomphe d'un noble idéal. Nous avons la conviction profonde que notre cause est juste et que nous allons dans le sens de l'histoire et du progrès. L'Algérie, nous le proclamons encore une fois, appartient à tous ceux qui veulent travailler pour elle, à tous ceux qui sont prêts au besoin à faire quelques sacrifices pour soulager la misère du grand nombre. Elle appartient aussi à tous ceux qui aiment la beauté de ses rivages, la limpidité de son ciel, l'éclat de son soleil, l'infini des sables de son désert, le printemps embaumé de ses jardins fleuris. L'Algérie appartient à tous ceux qui, par-dessus les barrières artificielles de la race ou de la religion, décident d'y vivre côte à côte, en égaux et en frères. C'est uniquement cette Algérie que nous voulons. Et c'est elle qui sera demain.

Les Temps Modernes  - Mars 1958

Rappel historique
Abdelkader Guerroudj, un Algérien français et son épouse, Jacqueline Guerroudj, ont été condamnés à mort en décembre 1957 en tant que complices de Fernand Yveton, le seul Européen qui a été guillotiné pour sa part dans la révolte algérienne. À la suite d'une importante campagne  en France, Guerroudj, n'a pas été exécuté.
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15 janvier 2008 2 15 /01 /janvier /2008 21:07
Pour consulter le blog: linter.over-blog.com

Quand le capital et la social-démocartie s'unissent pour "tuer" la révolution.

“Malgré tout !” est le dernier texte écrit par Karl Liebknecht.
Ce texte a été publié le jour de son assassinat le 15 janvier 1919,

 


Assaut général contre Spartakus !

  « A bas les spartakistes ! », crie-t-on partout.

   « Saisissez-les, fouettez-les, piquez-les, fusillez-les, écrasez-les, mettez-les en pièces ! »

   Des abominations sont commises plus cruels que celles des troupes allemandes en Belgique.

   « Spartakus battu ! », jubile toute la presse, de la Post au Vorwärts.

   « Spartakus battu ! » Et les sabres, les revolvers et les carabines de la police germanique rétablie et le désarmement des ouvriers révolutionnaires scelleront sa défaite.

   « Spartakus battu ! » Et sous la protection des baïonnettes du colonel Reinhardt, des mitrailleuses et des canons du général Lüttwitz, doivent se dérouler les élections à l’Assemblée nationale - un plébiscite pour Napoléon-Ebert.

   « Spartakus battu ! » Oui ! Les ouvriers révolutionnaires de Berlin ont été battus ! Oui ! Abattus des centaines des meilleurs d’entre eux ! Oui ! jetés au cachot des centaines parmi les plus fidèles !

   Oui !Ils ont été battus ! Car ils ont été abandonnés par les marins, les soldats, les gardes de sécurité, par l’armée populaire, sur l’aide desquels ils avaient compté. Et leurs forces ont été paralysées par l’indécision et la pusillanimité de leurs chefs. Et l’immense flot bourbeux contre-révolutionnaire des éléments arriérés du peuple et des classes possédantes les a submergés.

   Oui, ils ont été battus ! Et c’était une nécessité historique qu’ils le fussent. Car le temps n’était pas encore venu. Et pourtant la lutte était inévitable. Car livrer sans combat aux Eugen Ernst et Hirsch la préfecture de police, ce palladium de la révolution, eût été une défaite déshonorante. La lutte avait été imposée au prolétariat par la bande d’Ebert, et les masses berlinoises furent emportées par-delà tous les doutes et les hésitations.

   Oui, les ouvriers révolutionnaires de Berlin ont été battus. Et les Ebert-Scheidemann-Noske ont remporté la victoire. Ils l’ont remportée parce que les généraux, la bureaucratie, les junkers de la campagne et de l’industrie, la curés et les sacs d’argent, et tout ce qui est étroit, mesquin et arriéré, les ont aidés. Et ils l’ont remporté pour eux avec des obus, des bombes à gaz et des lance-mines.

   Mais il y a des défaites qui sont des victoires et des victoires plus fatales que des défaites.

   Les battus de la semaine sanglante de janvier se sont battus glorieusement, ils se sont battus pour quelque chose de grand, pour le but le plus noble de l’humanité souffrante, pour la libération matérielle et spirituelle des masses pauvres ; pour des buts sacrés, ils ont versé leur sang, qui a été ainsi sanctifié. Et de chaque goutte de ce sang, cette semence de dragon pour les vainqueurs d’aujourd’hui, des vengeurs naîtront pour ceux qui sont tombés ; de chaque fibre brisée de nouveaux combattants de la grande cause, éternelle et impérissable comme le firmament.

   Les battus d’aujourd’hui seront les vainqueurs de demain. Car la défaite est leur enseignement. Le prolétariat allemand manque encore de traditions et d’expérience révolutionnaires, et ce n’est que par des tâtonnements, des erreurs juvéniles, des échecs douloureux, qu’on peut acquérir l’expérience qui garantit le succès futur.

   Pour les forces vivantes de la révolution sociale, dont la croissance ininterrompue est la loi du développement social, une défaite constitue un stimulant. Et c’est par les défaites que leur chemin conduit vers la victoire.

   Mais les vainqueurs d’aujourd’hui ? C’est pour une cause scélérate qu’ils ont accompli leur besogne scélérate. Pour les puissances du passé, pour les ennemis mortels du prolétariat.

   Et ils sont dès aujourd’hui battus ! Car ils sont dès aujourd’hui les prisonniers de ceux qu’ils pensaient pouvoir utiliser comme leurs instruments et dont ils ont toujours été en fait les instruments.

   Ils donnent encore leur nom à la firme, mais il ne leur reste qu’un court délai de grâce.

   Déjà ils sont au pilori de l’histoire. Jamais il n’y eut au monde de tels Judas : non seulement ils ont trahi ce qu’ils avaient de plus sacré, mais de leurs propres mains ils ont aussi enfoncé les clous dans la croix. De même qu’en août 1914 la social-démocratie officielle allemande est tombée plus bas que n’importe quelle autre, de même aujourd’hui, à l’aube de la révolution sociale, elle reste le modèle qui fait horreur.

   La bourgeoisie française a dû prendre dans ses propres rangs les bourreaux de juin 1848 et ceux de mai 1871. La bourgeoisie allemande n’a pas besoin de faire elle-même le travail : ce sont des « sociaux-démocrates » qui accomplissent la sale besogne, lâche et méprisable. Son Cavaignac, son Gallifet, c’est Noske, l’ « ouvrier allemand ».

   Des sonneries de cloche ont appelé au massacre ; de la musique, des agitations de mouchoirs, des cris de victoire des capitalistes sauvés de l’ « horreur bolchéviste » ont fêté la soldatesque. La poudre est encore fumante, l’incendie du massacre des ouvriers brûle encore, les prolétaires assassinés gisent à terre, les blessés gémissent encore, et, gonflé de fierté de leur victoire, ils passent en revue les troupes d’assassins, les Ebert, Scheidemann et Noske.

   Semence de dragon ! Déjà le prolétariat mondial se détourne d’eux avec horreur, eux qui osent tendre à l’Internationale leurs mains encore fumantes du sang des ouvriers allemands ! Ils sont rejetés avec répulsion et mépris même par ceux qui, dans la furie de la guerre mondiale, avaient trahi les devoirs du socialisme. Salis, exclus des rangs de l’humanité civilisée, chassé de l’Internationale, honnis et maudits par tous les ouvriers révolutionnaires, ainsi se présentent-ils devant le monde.

   Et l’Allemagne tout entière est précipitée par eux dans la honte. Des traîtres à leurs frères, des fratricides, gouvernent aujourd’hui le peuple allemand. « Vite, mon calepin, que je note… »

  Oh, leur magnificence ne durera pas longtemps ; un court délai de grâce, et ils seront jugés.

   La révolution du prolétariat, qu’ils ont cru noyer dans le sang, elle renaîtra, gigantesque, et son premier mot d’ordre sera : A bas les assassins d’ouvriers Ebert-Scheidemann-Noske !

   Les battus d’aujourd’hui ont retenu l’enseignement : ils sont guéris de l’illusion qu’ils pouvaient trouver leur salut dans l’aide des masses confuses de soldats, qu’ils pouvaient s’en remettre à des chefs qui se sont révélés faibles et incapables, guéris de leur croyance en la social-démocratie indépendante, qui les a honteusement abandonnés. C’est en ne comptant que sur eux-mêmes qu’ils vont mener les batailles à venir, qu’ils obtiendront leurs victoires futures. Et la phrase fameuse : « L’émancipation de la classe ouvrière ne peut être que l’œuvre de la classe ouvrière elle-même », a acquis pour eux, du fait de la leçon amère de cette semaine, une nouvelle signification profonde.

   De même, les soldats qui ont été trompés comprendront bientôt quel jeu on leur a fait jouer quand ils sentiront à nouveau sur eux le knout du militarisme remis en selle ; eux aussi sortiront de l’ivresse où ils sont plongés aujourd’hui.

   « Spartakus battu ! » Doucement ! Nous n’avons pas fui, nous ne sommes pas battus ! Et même si vous nous enchaînez, nous sommes là et nous restons là ! Et la victoire sera nôtre !

   Car Spartakus, cela signifie : feu et flamme, cela signifie : coeur et âme, cela signifie volonté et action de la révolution du prolétariat. Et Spartakus - cela signifie détresse et aspiration au bonheur, volonté de mener la lutte du prolétariat conscient. Car Spartakus, cela signifie socialisme et révolution mondiale.

   La marche au Golgotha de la classe ouvrière allemande n’est pas encore terminée, mais le jour de la redemption approche ; le jour du Jugement pour les Ebert-Scheidemann-Noske et pour les dirigeants capitalistes qui aujourd’hui se cachent encore derrière eux. Haut jusqu’au ciel battent les flots des événements ; nous sommes habitués à être précipités du sommet jusque dans les profondeurs. Mais notre vaisseau poursuit fermement et fièrement sa route droite - jusqu’au but.

   Et que nous vivions encore quand il sera atteint - notre programme, lui, vivra ; il dominera le monde de l’humanité libérée. Malgré tout !

   Sous le grondement de l’effondrement économique qui s’approche, l’armée encore sommeillante des prolétaires se réveillera comme au son des trompettes du Jugement dernier, et les corps des combattants assassinés ressusciteront et exigeront des comptes de leurs bourreaux. Aujourd’hui encore le grondement souterrain du volcan ; demain il fera éruption et ensevelira les bourreaux sous ses cendres brûlantes et ses flots de lave incandescente.

   Karl Liebknecht, Die Rote Fahne, 15 janvier 1919

Repris sur le site communisme.wordpress.com

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Militants d'AD

Situation des  MILITANTS

Nathalie Ménigon

Georges Cipriani

en libération conditionnelle

Jean-Marc Rouillan

en semi-liberté 

NOS COMBATS

(avril 2010)

Après la semI-liberté de Georges Cipriani, la campagne continue pour la libération de Jean-Marc Rouillan
et encore et toujours  
Pour une solidarité avec ces militants en semi-liberté, en libération conditionnelle et au-delà car le but reste le même: leur permettre de préserver leur identité politiqe et de vivre matériellement, politiquement.

(septembre 2008)

Contre le risque de peine infinie pour les prisonniers révolutionnaires - contre la rétention de sûreté - contre le CNO
Pour une libération complète et sans condition des prisonniers révolutionnaires
Pour une solidarité avec ces militants en semi-liberté, en libération conditionnelle et au-delà car le but reste le même: leur permettre de préserver leur identité politiqe et de vivre matériellement, politiquement.

  (août 2009)


Le combat pour la libération des prisonniers d'Action directe doit donc continuer et se renforcer ...
Après la réincarcération de Jean-Marc Rouillan, nous avons appris ce 20 août, le refus brutal et tellement politique de la libération conditionnelle pour Georges Cipriani.

Alerte: La santé, la vie de Jean-Marc Rouillan sont menacées, il doit être libéré.
Liberté pour Georges Cipriani'

C. GAUGER ET S. SUDER

PROCES CONTRE C. GAUGER ET S. SUDER

Pour suivre le procès : lire

 

LIBERATION DE SONJA SUDER

EMPRISONNEE DEPUIS SEPTEMBRE 2011 POUR DES FAITS REMONTANT A PLUS DE TRENTE ANS ET SUR LES SEULES ACCUSATIONS D'UN TEMOIN REPENTI HANS-JOACHIM KLEIN.

 

ARRET DES POUSUITES CONTRE CHRISTIAN GAUGER ET SONJA SUDER

ENGAGEES AU MEPRIS DE TOUTE PRESCRIPTION

SUR LES SEULES BASES DE DECLARATIONS OBTENUES SOUS LA TORTURE D'UNE PART ET D'UN REPENTI D'AUTRE PART

 

NON A LA TORTURE - NON A LA CITATION COMME TEMOIN D'HERMANN F.

Militant grièvement blessé en 1978, interrogé dès le lendemain d'une opération où il a perdu ses deux yeux et a été amputé des deux jambes, séquestré durant quatre mois sans mandat d'arrêt par la police, maintenu à l'iolement, et dont le tribunal prétend aujourd'hui utiliser les déclarations, qu'il a remis en cause dès qu'il a qu'il a pu être libéré des griffes des policiers.

 

LIBERATION DE SIBYLLE S., ARRETEE LE 9 AVRIL EN PLEIN PROCES POUR REFUS DE TEMOIGNER :

 

condamnée il y a plus de trente ans sur la base des déclarations de son ex-compagnon Hermann F., elle est restée proche de lui toutes ses années et refuse qu'on utilise ces déclarations qui lui ont été extorquées au prix de traitements inhumains.

 


Liberté pour Sibylle et Sonja 2