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Le fond de l'air est rouge - archives de linter - Histoire, notre histoire.
"Pour que l'ordre règne dans ses usines"
Parmi les ouvrages publiés par François Maspéro, plusieurs décrivent les conditions d'affrontement entre le capital et le travail. Ils font partie de ce qui permettait l'information et notre prise de conscience. Ainsi, celui qui décrit la milice patronale qui sévissait chez Peugeot. Ce document, dont nous repoduisons l'introduction pour le faire connaître aujourd'hui, a été publié en 1975. Les auteurs en sont Claude Angeli et Nicolas Brimo.
Collage de Joëlle Aubron
A lire aussi: Histoire ouvrière - Les combats et les morts de Peugeot (juin 1968)
Une milice patronale: Peugeot
Cahiers libre 303
François Maspéro
Claude Angeli et Nicolas Brimo
Introduction, P 7à 9
Ce livre raconte un combat. Celui mené par Peugeot pour que l'ordre règne dans ses usines. Il raconte aussi l'histoire des hommes payés pour ce travail.
Une histoire exemplaire: jamais en France une entreprise n'était allée aussi loin dans l'organisation d'une police intérieure; jamais une direction n'avait enrolé, par vagues successives, plusieurs centaines de mercenaires et dépensé autant d'argent.
Extraordinaire aussi la petite société qui s'est créée autour de cette opération: un général et pas n'importe lequel, deux colonels brillamment décorés, d'autres officiers mal remis des guerres perdues, des parachutistes à la dérive, des proxénètes un moment au repos, des petits voleurs aussi, des amoureux de la barre de fer et même l'un des meilleurs tueurs de l'OAS, sans oublier l'homme dont la mitraillette s'enraya un jour d'août 1962, au Petit-Clamart, quand un commando manqua d'un rien sa cible, le Général de Gaulle.
Il ne s'agit pas ici de la réaction d'un patron ordinaire, affolé par la subite naissance d'une section syndicale, mais d'un état-major de dirigeants, issus du meilleur des mondes, partout respectés.
Ce n'est sans doute pas un hasard si de telles pratiques ont eu cours dans l'industrie automobile. Là, tout prend valeur de test. On y trouve les plus fortes concentrations ouvrières, le plus grand nombre de salariés travaillant à la chaîne et capables à tout moment de ralentir puis de bloquer la production. Cette position statégique, la direction de Renault la définit ainsi, le 8 avril 1973, lors d'une grève:
"Chacun doit être conscient que le travail des OS est l'élément fondamental de l'établissement des marges bénéficiaires dans le système économique actuel."
Pour que ces OS se tiennent tranquilles, il faut donc prendre les mesures appropriées. Et quand le souvenir de mai 1968 transforme l'inquiétude en peur, il ne suffit plus alors d'employer seulement des petits mouchards, des "petits-chefs" d'atelier ou les petites équipes musclées du syndicat-maison. Il faut trouver mieux.
Les vocations de mercenaires ne manquent pas dans ce pays. Encore faut-il rationaliser le marché de ce travail, assurer la confrontation de l'offre et de la demande: c'est ce que permet la législation, trop complaisante, qui régit les sociétés de travail intérimaire. Deux d'entre elles fourniront à Peugeot les sociétés-écrans qui permettront de camoufler au mieux le recrutement de mercenaires - une solution à l'américaine que choisit Peugeot en 1970.
L'erreur des syndicats sera, pendant un temps, de ne pas réagir sérieusement: les pemiers visés étaient les "gauchistes" dans l'usine et autour. Plus tard, quand leur tour viendra, avec les commandos lâchés contre les piquets de grève, tout sera plus clair.
C'est une vérité plus ou moins admise aujourd'hui. "J'ai adhéré au Parti en 1969. Il a fallu que je pleure pour avoir la carte parce qu'ils voyaient des gauchistes partout", raconte un ouvrier communiste de Sochaux dans l'Humanité Dimanche du 29 janvier 1975.
De même, après l'attaque des grévistes de Saint-Etienne par un commando, Georges Granger, responsable départemental de la CFDT, déclare au Nouvel Observateur: "Nous avons commis une grave erreur. Nous n'avons pas pensé à assurer la protection des camarades qui occupaient l'usine [...]. Désormais nous serons moins naïfs."
Les auteurs ont déjà, dans quelques articles, indiqué la responsabilité de l'état-major Peugeot dans le recrutement de mercenaires et lors des actions de commando. Plutôt que de risquer alors une réponse, Peugeot a préféré se taire.
Pas le moindre démenti, pas le plus petit rectificatif. Et pas même la menace d'un procès.
TABLE
Introduction
Personnages principaux
Lagrande tradition Peugeot
Les mercenaires au pays de Montbéliard
Des commandos pour nettoyer l'usine
Des projets pour demain
Témoignages et documents